Magazine Société

Reiser, tireur d’élite

Publié le 13 avril 2021 par Sylvainrakotoarison

" Je dessine le pire parce que j'aime le beau. " (Reiser).
Reiser, tireur d’élite
Le dessinateur et humoriste caustique Jean-Marc Reiser est né il y a 80 ans, le 13 avril 1941. Petit génie de la férocité dessinée, il a marqué les esprits tant par son œuvre que par son départ précipité de la vie. Est-ce d'ailleurs un pied de nez posthume que d'être devenu l'homonyme d'un homme soupçonné d'être à l'origine de l'enlèvement et du meurtre d'une jeune étudiante en Alsace il y a deux ans (sans qu'aucun élément concret ne semble permettre d'établir la culpabilité) ?
Idées crûes, grossièretés (sans vulgarités ?), dessins et textes souvent "pour adultes" et pourtant, Reiser aujourd'hui fait partie prenante de la culture française, voire académique (Grand Prix de la ville d'Angoulême en 1978), au point d'avoir donné son nom à un lycée en Lorraine d'où il était originaire.
Comme Sempé et beaucoup d'autres dessinateurs de presse, Reiser n'a pas été formé au dessin, il s'est formé sur le tas, ce qui explique le trait très simple des dessins, sobriété qui leur apporte ainsi toute l'intensité du message. Comme Sempé également, il n'a quasiment jamais caricaturé des personnalités connues (politiques, culturelles, etc.) pour se focaliser sur l'homme (ou la femme) de la rue, l'honnête (ou malhonnête) père (ou mère) de famille, le quidam, le banal, l'ordinaire. En ce sens, il n'était pas un tireur d'élites (au pluriel) mais un tireur de non élites.
Le dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains décrit ainsi Reiser : " Impitoyable, ironique et vulgaire, au sens étymologique, de la réalité, il crée d'un trait vitriolé, déchiqueté, une galerie d'hommes et d'animaux monstrueux et aimables, joyeusement anarchistes comme les supports où ils paraissent. C'est un moraliste du monde petit-bourgeois qui force le trait de l'ivrognerie, l'érotisme, le militarisme, la politique du café. Ses personnages ont un nez en courge et quelques cheveux en épis. ".
Déshabilleur de société, il a décrit son époque, comme un véritable sociologue crû, il a décrit les travers de ses contemporains, avec des récurrences fortes notamment sur les relations affectives et sexuelles, thème qu'il pouvait se permettre d'aborder de cette manière dans les années 1970 (aujourd'hui, c'est moins sûr !).
Reiser, tireur d’élite
Après des petits boulots, il a commencé réellement son "métier" de dessinateur en 1960 en faisant partie de l'aventure de "Hara-Kiri" dont il était devenu un pilier avec ses créateurs Cavanna, Fred et le Professeur Choron. Ses dessins ont fait rapidement mouche et Reiser a collaboré, au-delà de "Hara-Kiri" et de " Charlie Hebdo", avec "Action", " Pilote", "BD", "Métal hurlant", "L'Écho des savanes", "La Gueule ouverte", et même (le temps d'un été) avec "Le Monde" (la saga de la famille "Oboulot en vacances", écourtée à cause des lecteurs) ainsi qu'avec " Le Nouvel Observateur".
La rencontre avec Cavanna fut déterminante pour donner de l'audience à ses dessins. Cavanna a dit de Reiser : " Chez lui, aucune haine. Aucun mépris. Il ne juge pas. Il les prend tels qu'ils sont, les colle sur le papier, en rigolant de tout son cœur qu'ils soient si cons. Il ne les voit pas méchants, non, seulement cons. Mais cons jusqu'au grandiose, jusqu'au sublime. ".
Toute la vie quotidienne était donc décortiquée sous le radar très personnel de Reiser, les femmes, les vacances, le travail, les bêtes, l'amour, la sexualité, et aussi l'actualité économique et sociale, en particulier celle de l'industrie aéronautique à laquelle il s'était beaucoup intéressé.
Reiser, tireur d’élite
L'un des "héros" de Reiser, le provocateur de mauvais goût, a tout contre lui, jusqu'à son nom "Gros Dégueulasse" : mâle, sale, gras, puant, fumeur, mal rasé, habillé de son slip kangourou taché faisant déborder ses attributs de famille.
Dans un livre publié récemment chez Glénat, Jean-Marc Parisis, auteur d'une biographe de Reiser, a mis en évidence le "militantisme" écologique précurseur de Reiser qui a pressenti l'importance du thème bien avant l'heure, dès les années 1970. Dans son esprit, la surconsommation à outrance ne pouvait se faire qu'au détriment de la nature (animaux et environnement) et il deviendrait donc nécessaire, dans l'avenir, de faire plus attention en adoptant des gestes qui puissent la préserver : " Marée noire, nucléaire, les pires fléaux de la modernité outrancières n'échappent pas à sa plume assassine et humoristique. ". Au-delà de dénoncer, Reiser, visionnaire par ses dessins, voulait aussi proposer : il expliquait entre autres l'énergie solaire et l'énergie éolienne.
Reiser, tireur d’élite
Pour honorer Reiser au vingtième anniversaire de sa disparition, une dizaine de dessinateurs ont publié un ouvrage collectif, parmi lesquels Cabu, Pétillon, Marjane Satrapi, Joann Sfar, et une exposition au Centre Pompidou lui fut consacrée, le hissant dans le temple de la culture contemporaine "officielle".
De son vivant, Reiser ne faisait évidemment pas l'unanimité, il a été souvent contesté pour son mauvais goût et ses provocations, mais à l'instar de Coluche et Pierre Desproges, Reiser est entré dans le Panthéon de l'humour français par la grande porte, et ce qui avait divisé a fait sa postérité, au-delà de son coup de génie ravageur, à la mort de De Gaulle, en rédigeant la couverture du dernier "Hara-Kiri" autorisé : " Bal tragique à Colombey, 1 mort " qui a choqué les familles des presque cent quarante-six jeunes victimes de l'incendie d'une boîte de nuit près de Grenoble.
Reiser, tireur d’élite
Arraché au monde par un crabe le 5 novembre 1983 à seulement 42 ans, Reiser est enterré à Montparnasse sous une aile d'avion (il était un fou du vol libre), couverte de numéros spéciaux de "Hara-Kiri", en guise de couronne mortuaire, numéros titrés : " Reiser va mieux. Il est allé au cimetière à pied. ", reprenant une de ses formules choc à la mort de Franco. Couronne accompagnée du mot : " De la part de "Hara-Kiri", en vente partout. ". Près de quarante ans plus tard, on retrouve toujours des albums de Reiser, "en vente partout"...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Reiser.
50 ans après Charlie Hebdo.
Piem.
Le départ d'Uderzo.
Claire Bretécher.
Le peuple d'Astérix.
Pluralité dissonante.
Peyo.
Jacques Rouxel.
Pétillon.
Jean Moulin, dessinateur de presse.
Les Shadoks.
F'murrr.
Christian Binet et monsieur Bidochon.
Goscinny, le seigneur des bulles.
René Goscinny, symbole de l'esprit français ?
Albert Uderzo.
Les 50 ans d'Astérix (29 octobre 2009).
Cabu.
"Pyongyang" de Guy Delisle (éd. L'Association).
Sempé.
Petite anthologie des gags de Lagaffe.
Jidéhem.
Gaston Lagaffe.
Inconsolable.
Les mondes de Gotlib.
Tabary.
Hergé.
"Quai d'Orsay".
Comment sauver une jeune femme de façon très particulière ?
Pour ou contre la peine de mort ?
Reiser, tireur d’élite
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210413-reiser.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/reiser-tireur-d-elite-232193
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/04/08/38909430.html


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sylvainrakotoarison 1208 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine