J’avais lu il y a très longtemps une nouvelle de Marguerite Yourcenar « Alexis ou le traité du vain combat » qui m’avait plu mais pas au point de souhaiter relire rapidement cette écrivaine.
Et voici que, vingt ans plus tard, j’ai relu un peu par hasard Marguerite Yourcenar avec ce recueil de quatre nouvelles Comment Wang-Fô fut sauvé – et j’ai été littéralement envoûtée par la beauté poétique de ces contes, dont j’ai tout aimé : l’imagination débordante et la profondeur de significations, l’écriture d’une justesse émouvante, les descriptions ciselées, la capacité à nous dépayser dans l’espace et dans le temps, les moments d’étrangeté qui frôlent le fantastique (comme dans tout vrai conte qui se respecte), et les pointes de cruauté qui affleurent souvent et nous rappellent les réalités de l’existence au-delà de la pure fantaisie (car, là encore, dans les vrais contes, le Merveilleux et l’Effroi sont les deux faces d’un même univers).
Ces quatre nouvelles nous emmènent dans diverses régions du monde : l’Extrême et le Moyen-Orient, les Balkans et la Grèce. Dans deux d’entre elles la mythologie gréco-latine joue un rôle non négligeable, mais dans une vision neuve et revisitée.
Dans la première nouvelle éponyme du livre nous sommes transportés dans la Chine impériale des Han (il y a environ 2000 ans), et nous suivons les aventures du peintre Wang-Fô et de son disciple Ling.
Ces deux sympathiques compagnons, qui ne vivent que pour la magie de la peinture, se retrouvent un beau jour en butte aux fureurs de l’Empereur, qui reproche au vieil artiste de lui avoir fait croire par ses peintures que le monde pouvait être plus beau qu’il n’est – et quelle déception quand il s’est retrouvé devant la réalité si ennuyeuse et si laide !
Face aux reproches cruels de l’Empereur et à ses désirs de vengeance, le vieux peintre va inventer une manière originale et intelligente de se sauver.
Cette nouvelle nous montre d’une manière imagée et sensible comment la peinture peut transformer nos perceptions et nos sentiments, nous faire comprendre la réalité plus profondément au point de nous révéler la vérité cachée des choses et d’ouvrir notre perception du Réel sur un autre monde – sur le monde des sentiments et de l’imaginaire.
Un extrait page 9 :
Ling paya l’écot du vieux peintre : comme Wang-Fô était sans argent et sans hôte, il lui offrit humblement un gîte. Ils firent route ensemble ; Ling tenait une lanterne ; sa lueur projetait dans les flaques des feux inattendus. Ce soir-là, Ling apprit avec surprise que les murs de sa maison n’étaient pas rouges, comme il l’avait cru, mais qu’ils avaient la couleur d’une orange prête à pourrir. Dans la cour, Wang-Fô remarqua la forme délicate d’un arbuste, auquel personne n’avait prêté attention jusque-là, et le compara à une jeune femme qui laisse sécher ses cheveux. Dans le couloir, il suivit avec ravissement la marche hésitante d’une fourmi le long des crevasses de la muraille, et l’horreur de Ling pour ces bestioles s’évanouit. Alors, comprenant que Wang-Fô venait de lui faire cadeau d’une âme et d’une perception neuves, Ling coucha respectueusement le vieillard dans la chambre où ses père et mère étaient morts. (…)
Ce recueil de nouvelles de Marguerite Yourcenar est paru chez Folio Plus Classiques en 2007.
Je l’ai lu dans le cadre de mon Défi Littéraire « Le Printemps des Artistes » pour Avril-Mai 2021.