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"L'Autre qu'on adorait", de Catherine Cusset (2016)

Publié le 09 avril 2021 par Artemisia72

"L'Autre qu'on adorait&quot;, de Catherine Cusset (2016)Clocher de la Boatwright Memorial Library, Université de Richmond (Virginie) ; Public Domain, <a href="https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4728863">Link</a>

Paru en 2016 chez Gallimard, L'Autre qu'on adorait est le récit d'une impitoyable descente aux enfers, une tragédie attendue : Thomas, un jeune homme plein de vie, une force de la nature pourtant fragile d'1m90, échoue à Normale Sup' et part aux États-Unis ; à 39 ans, après une série d'échecs professionnels et amoureux, il se suicide.

La tragédie est d'abord en lui : dans son incapacité à aimer, à retenir les femmes : à peine tombe-t-il amoureux, croyant trouver "la femme de sa vie", que la lassitude survient, l'incompréhension, et finalement la rupture. Sur le plan professionnel, il commence brillamment par une thèse sur Proust à l'Université de Columbia ; mais ensuite, il semble s'acharner à ruiner toutes ses chances, par des gaffes successives, une incapacité chronique à aller au bout de ses projets, à finir et à publier ses livres - ce qui, au pays du "publish or perish" ne pardonne pas : il tombe d'université moyenne à université médiocre, finissant "grillé" dans tout le système américain... Certes, il a des excuses, une bi-polarité diagnostiquée trop tard, une addiction à l'alcool qui l'empêche de se soigner...

Mais la tragédie est aussi dans le système américain, décrit ici de l'intérieur : l'incroyable turn over auquel sont soumis, sans désemparer, les professeurs et les chercheurs, perpétuellement contraints de chercher de nouveaux postes, de se vendre, de chercher la faveur de directeurs souvent médiocre, mais qui ont leur sort entre les mains... Certes, lorsque l'on réussit à s'intégrer dans une Université prestigieuse, c'est un rêve : de l'argent sans compter, l'accès illimité à des bibliothèques à faire pâlir les nôtres les plus prestigieuses... Même au fin fond de la Virginie, il n'y a pas de bibliothèque universitaire comptant moins d'un million d'ouvrages ! Mais le système est implacable : une année sans publier au moins un livre ou un article, et vous êtes rejeté, dévalué... C'est un aiguillon, mais aussi la tentation permanente de sacrifier tout ce qui prend du temps, de se limiter à une médiocrité qui se vend bien... Et dans ce monde hautement concurrentiel, il n'y a ni allié, ni ami : chacun, occupé à mesurer ses propres chances, peut vous trahir à tout moment...

Le roman (une auto-fiction ?) de Catherine Cusset, ressemble à une longue lettre adressée au défunt : comme chez Butor, le "tu" domine ; mais à la différence de La Modification, le "je" n'est pas absent : la narratrice, Catherine, est aussi un personnage de l'histoire, sœur de l'ami Nicolas et amante de quelques mois de Thomas, et qui restera son amie. Tous les détails biographiques montrent que la narratrice se confond avec l'auteure... La prééminence du "tu", adressé par une narratrice omnisciente, crée une sorte de flou, d'hésitation entre un récit classique et une sorte de décentrement. Et l'on hésite aussi entre la pure fiction et l'autobiographie - d'autant que le cadre spatio-temporel appartient à une réalité bien connue : de 1986 (il est fait allusion à la mort de Malik Oussékine) jusqu'à l'élection de Barak Obama...


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