« Je fis la meilleure chose qui restait à faire :
je me préparai à dormir, la tête et les
bras sur la marche du dessus, le corps
ramassé en dessous. »
« Un trajet écourté », Nuit de Foi et de Vertu, p.109.
La poésie de Louise Glück fonctionne ainsi. Dans un rapport de l’extérieur et de l’intérieur, du dedans et du dehors (« l’intérieur est à l’extérieur, et l’extérieur est à l’intérieur » disait le poète chinois). Chez Louise Glück, cet état de conscience est aussi une fluide association / dissociation du corps et de l’esprit, de l’onirisme et du réel. Son écriture s’impose au-delà des écoles qui ont jalonné l’histoire de la poésie américaine : épopée fondatrice d’une nation (Whitman), ambition encyclopédique (Pound), définition de l’objet (Zukofsky). Elle garde cependant quelque chose de proprement américain : sa porosité ouverte à la fiction, son goût de la narration (et chaque poème ressemble à un court roman, à une nouvelle, un conte réaliste). Mais elle gomme le marquage classique de la poésie, rythmes, assonances, subversions. On peut penser que cette option est en partie liée à nos conditions culturelles ; aux Etats-Unis comme ailleurs, dans les librairies ou les universités, le roman attire aujourd’hui plus de lecteurs que ne le fait la poésie. L’art de Louise Glück ? Elle donne l’impression d’écrire sans nulle contrainte.
« Tard dans la nuit je restai assise à ruminer à ma table
jusqu’à ce que ma tête fût si lourde et vide
que je fusse obligée de m’étendre.
Mais je ne m’étendis pas. Au lieu de cela, je fis reposer ma tête sur
mes bras
que j’avais croisés devant moi sur le bois nu. »
« L’histoire d’un jour », Nuit de Foi et de Vertu, p. 135.
La contrainte ne promettrait pas de surprise, elle ne promet que des réussites.
Claude Minière
Louise Glück, Nuit de foi et de vertu, Trad. de l'anglais (États-Unis) par Romain Benini, Édition bilingue, Gallimard, Du monde entier, 156 p. 17 euros.