Du 6 au 27 mars dernier, l’exposition Une poïétique de l’intime présentée à la Villa Chanteclerc ( Martinique) à l’initiative de Muryelle Moulferdi, directeur de projet, accompagnée de Marie Gauthier, commissaire d’exposition, réunissait les derniers dessins d’Hamid et quelques grandes toiles. On y retrouve les symboles qui peuplent son œuvre : la clef, l’oiseau, le chien, la croix, le croissant de nouvelle lune mais aussi les équations, l’échelle. Sa peinture témoigne en effet de ses interrogations intimes, de ses combats intérieurs, d’une quête spirituelle profonde et authentique.
« A vrai dire, ma peinture est un mariage de deux cultures, de deux civilisations : de calligraphie arabe et de symboles. Mariage de la lettre et de la couleur. Cette union engendre une peinture intellectuelle, politique et spirituelle dans un monde où les rapports entre certains hommes sont réduits à des rapports de concurrence et de force. »
Hamid (1961-1997) est né au Maroc mais s’est installé très jeune à la Martinique après son mariage. Il a compté parmi les plasticiens remarqués de Martinique et de la Caraïbe.
En 1989, il était invité à la troisième Biennale de la Havane avec la délégation de Martinique. En 1992, il participait à la Première biennale de peinture de République Dominicaine et de l’Amérique Centrale. Le trouble des initiés figurait sur les cimaises de Carib Art, une manifestation organisée par Curaçao, soutenue par l’Unesco, ne comptant pas moins de cent cinquante artistes de trente – deux régions de la Caraïbe insulaire.
La seconde biennale de peinture de République Dominicaine et de l’Amérique Centrale lui attribuait en 1994 une médaille d’or pour Comme au cirque. D’apparence légère et ludique, ce tableau n’en exprime pas moins l’angoisse de l’homme prisonnier de ses contradictions, incapable de trouver une solution. Sur un aplat d’un rouge vif uni, la silhouette sobrement esquissée d’homme à moto qui tourne en rond dans un cercle évoque un dangereux exercice de cirque : la sphère des motos. La clef semble hors d’atteinte. Une niche carrée a été aménagée dans le tableau et un jouet d’enfant, un personnage playmobil à moto, fait écho au dessin.
Comme au cirque 1992Par ailleurs, une des œuvres majeures d’Hamid, Démocratie (1991) été choisie par le Courrier de l’Unseco pour illustrer un article d’Alain Touraine dans le numéro de novembre 1992, Le Pari Démocratique.
Démocratie 1991C’est une œuvre figurative, composite. On voit un pan de mur structuré par la juxtaposition d’éléments rectangulaires de différentes nuances de gris, partiellement texturé par collage de papier calque froissé. Les lignes inférieures et supérieures des panneaux fuient vers la gauche suggérant ainsi une sorte de profondeur. Ce mur renvoie au titre d’une exposition de 1991, Les Murailles de nos songes.
Dans la partie supérieure du mur, le mot Démocratie inversé se détache ainsi qu’un graphe, sans aucun doute un mot en écriture arabe. Est – ce, ce qui semble logique et participe aussi peut – être de l’inversion du mot en français, Démocratie en calligraphie arabe ?
Dans la partie inférieure, le sol, composé de feuilles de papier journal de différentes nuances d’ocre contrairement au mur, est représenté en plan rabattu. On en distingue les signes d’écriture arabe.
Une échelle blanche et fine relie ses deux parties. Un personnage vu de dos, représenté très simplement avec une robe rouge, une tête noire et les membres indiqués par un simple trait, tire à l’aide d’une ficelle , la dernière lettre du mot Démocratie pour tenter sans doute de la remettre à sa place.
En 1991, à la date où l’artiste réalise cette œuvre, règne au Maroc, avec le roi Hassan II, une monarchie constitutionnelle au caractère absolutiste. Pourrait – on interpréter cette peinture comme une réflexion sur la situation politique de son pays natal, du monde arabe dans son ensemble ou tout simplement du monde. Est- ce prémonitoire ? Comment ne pas penser au printemps arabe et ses contestations populaires qui ont secoué en 2010 une grande partie du monde musulman ?
Une petite maquette permet de mesurer la recherche plastique de l’artiste pour renforcer son message : l’arrondi terrestre devient une oblique ce qui fortifie la composition, le personnage semble vouloir raccrocher en bonne place la lettre E qui a chuté.
L’échelle à laquelle grimpe ce petit personnage aux bras levés est une constante dans l’œuvre d’Hamid : L’échelle de Jacob (1996), L’échelle rouge, (1991)œuvre acquise par le Frac Martinique, Culpabilité Consciente (1991) ou encore certains dessins de la série Avoir ou Être.
- L échelle de Jacob 1993
- Série Avoir ou Être
- Série Avoir ou Être
- Culpabilité Consciente
L’échelle permet de grimper, de se libérer du sol et marque l’aspiration à l’élévation spirituelle. Est – ce à la fois une évocation du Livre de l’Echelle de Mahomet, cet ensemble de récits en arabe relatant l’ascension jusqu’à Dieu du prophète Mahomet et de l’épisode biblique du Livre de la Genèse, le songe de Jacob ?
L ‘échelle rouge (FRAC MARTINIQUE) 1991 l échelle de Jacob 1993L’œuvre d’Hamid est dense, singulière et sincère, et en cela attachante.
Dominique Brebion & Monique Mirabel