Cette année encore, des atteintes aux droits humains ont été commises par les forces de sécurité et par des groupes armés.
Les violences ont entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes, et la violence contre les femmes est demeurée endémique. Les autorités ont continué de réprimer l’opposition pacifique et les personnes qui les critiquaient. Des cas de torture et d’autres mauvais traitements en détention ont été signalés.
Contexte
Le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, a remporté les élections législatives et locales en février. Avant les élections, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, dirigé par Maurice Kamto, avait appelé au boycott du scrutin et réclamé une réforme électorale. Le président Paul Biya est au pouvoir depuis 1982. Le 17 mars, les autorités ont pris des mesures pour enrayer la propagation du COVID-19, instaurant notamment la fermeture des frontières. Le 31 mars, le président a lancé un appel à la solidarité publique pour aider à financer le secteur de la santé. De nombreuses personnes ont dénoncé le manque de transparence dans la gestion de ces fonds et critiqué les politiques publiques qui ne répondaient pas aux difficultés liées aux pertes de revenus. Des centaines de prisonniers et prisonnières ont été libérés en avril, mais la forte surpopulation carcérale continuait d’exposer les personnes détenues à un risque accru de contracter le COVID-19.
Exactions perpétrées par des groupes armés
Des groupes armés séparatistes anglophones ont continué de commettre de graves atteintes aux droits humains, prenant pour cible des personnes perçues comme sympathisantes du gouvernement dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Un jeune homme a été tué et son père blessé le 15 janvier près de Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, alors qu’ils tentaient d’éviter un poste de contrôle tenu par des séparatistes armés. Le 30 janvier, quatre personnes employées par une organisation humanitaire ont été enlevées par un groupe armé séparatiste, qui les accusait de travailler pour le gouvernement. Elles ont été libérées le lendemain. Selon l’organisation pour laquelle elles travaillaient, trois d’entre elles ont été frappées et soumises à des tortures psychologiques. Le 7 août, un travailleur humanitaire a été enlevé à son domicile, dans la commune de Batibo, par des assaillants non identifiés ; il a ensuite été tué.
Trois jours plus tard, des hommes armés ont tué un enseignant dans le quartier de Nkwen, à Bamenda, et ont jeté son corps dans un cours d’eau. Le 11 août, le cadavre d’une femme de 35 ans, Confort Tumassang, a été découvert sur une route de Muyuka, commune de la région du Sud-Ouest. Elle avait été décapitée par ses agresseurs, probablement des séparatistes. Ceux-ci ont diffusé une vidéo de son exécution sur les réseaux sociaux, dans laquelle ils l’accusaient de complicité avec les forces de sécurité.
Au moins huit élèves ont été tués et plusieurs autres blessés lors d’une attaque contre une école le 24 octobre dans la ville de Kumba, dans le département de la Mémé (région du Sud-Ouest). Les autorités ont accusé des séparatistes armés. Parallèlement, dans le contexte du conflit en cours dans la région de l’Extrême-Nord, des groupes armés liés à Boko Haram ont mené des centaines d’attaques, se rendant coupables de graves atteintes aux droits humains, dont certaines constituaient des crimes de guerre. Selon les données collectées auprès des organismes de l’ONU, des médias et d’autres organisations, au moins 312 civil·e·s, dont des enfants de seulement 10 ans, ont été tués dans au moins 412 attaques entre janvier et décembre.
Des personnes déplacées à l’intérieur du pays ont été prises pour cible. En août, au moins 18 d’entre elles ont été tuées et 11 blessées par un engin explosif lancé par des assaillants dans le camp de fortune où elles dormaient, près du village de Nguetchéwé. Environ 800 personnes déplacées avaient trouvé refuge dans cette zone. En septembre, selon le HCR, un attentat-suicide à l’explosif a fait sept morts et 14 blessés à Koyapé, un village qui accueillait des personnes déplacées. Toujours dans la région de l’Extrême-Nord, entre janvier et décembre, au moins 124 personnes, principalement des femmes et des enfants, avaient été enlevées par des groupes armés liés à Boko Haram.
Homicides illégaux
Dans le cadre du conflit armé avec les groupes séparatistes, l’armée a mené des attaques contre des villages, tuant illégalement des habitant·e·s et détruisant des maisons. Ces violences se sont multipliées dans la période précédant les élections, aux mois de janvier et février. En janvier, des soldats ont ouvert le feu sur un marché dans le village de Ndoh, dans la région du Sud-Ouest, en représailles après avoir appris qu’un soldat avait été tué dans la région. Au moins 16 personnes ont été tuées et cinq blessées, dont deux adolescents de 14 et 17 ans.
Le 14 février, 21 personnes au moins ont été tuées dans le quartier de Ngarbuh (région du Nord-Ouest), dont 14 enfants et deux femmes enceintes. À la suite des investigations menées par des ONG sur ce massacre, le gouvernement a créé une commission d’enquête conjointe, qui a conclu le 21 avril que 10 enfants et trois femmes avaient trouvé la mort dans des « échanges de coups de feu » entre l’armée, soutenue par des membres d’un « groupe d’autodéfense », et un groupe armé. Les autorités ont déclaré que des procédures disciplinaires seraient engagées contre tous les soldats ayant participé à l’opération, et que les autres personnes impliquées seraient arrêtées. Aucune information officielle n’était disponible sur cette affaire à la fin de l’année.
Personnes déplacées
En novembre, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), plus de 700 000 Camerounais et Camerounaises
étaient déplacés à l’intérieur ou à l’extérieur des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, après avoir fui des violences. Quelque 60 000 autres avaient trouvé refuge au Nigeria voisin. Enfin, plus de 320 000 personnes étaient déplacées à l’intérieur de la région de l’Extrême-Nord.
Violences fondées sur le genre
L’OCHA a enregistré 676 cas de violences fondées sur le genre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en septembre (contre 567 cas en août). Il a toutefois indiqué que ces chiffres étaient probablement en deçà de la réalité car il avait un accès limité aux populations concernées. Sur l’ensemble des cas signalés, 39 % concernaient des violences sexuelles. Les victimes de violences liées au genre étaient en majorité des femmes (64 %).
Liberté d’expression et de réunion
Les autorités ont continué de réprimer l’opposition pacifique, interdisant les manifestations et arrêtant arbitrairement celles et ceux qui exerçaient leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Le 18 septembre, quatre membres du mouvement Stand Up For Cameroon, une coalition regroupant notamment des partis politiques et des ONG, ont été arrêtés par la gendarmerie à Douala, après avoir assisté àune réunion au siège du Parti populaire du Cameroun. Ils ont été déférés à un tribunal militaire sur de fausses accusations de tentative de conspiration, révolution et insurrection. Le juge a ordonné leur placement en détention provisoire à la prison de New Bell, où ils se trouvaient toujours à la fin de l’année.
Maurice Kamto a lancé un appel à manifester pacifiquement le 22 septembre pour réclamer la démission du président. Les gouverneurs des régions de l’Ouest et du Centre ont réagi en interdisant toutes les manifestations jusqu’à nouvel ordre. Les forces de sécurité ont pris position autour de la maison de Maurice Kamto du 22 septembre au 8 décembre. Au moins 500 manifestant·e·s, membres ou sympathisant·e·s du Mouvement pour la renaissance du Cameroun pour la plupart, ont été arrêtés le 22 septembre. Selon des avocats, 160 de ces personnes étaient toujours détenues à Douala, Yaoundé, Bafoussam et Nkongsamba. De plus, au 9 décembre, 13 d’entre elles avaient été condamnées à des peines d’emprisonnement par des juridictions civiles, et 14 avaient comparu devant un tribunal militaire.
Torture et autres mauvais traitements
La mort en détention du journaliste Samuel Ebuwe Ajiekia a fini par être révélée par des médias indépendants le 2 juin, puis par le Syndicat national des journalistes du Cameroun. On était sans nouvelles de lui depuis près d’un an, et sa mort avait été tenue secrète par les autorités. Le 5 juin, le ministère de la Défense a confirmé son décès et déclaré qu’il était mort de septicémie le 17 août 2019 à l’Hôpital militaire du Cameroun, à Yaoundé, alors que les photos de son cadavre montraient des traces de torture et d’autres mauvais traitements. Samuel Ebuwe Ajiekia avait été arrêté à Buéa, la capitale de la région du Sud-Ouest, le 2 août 2019, après avoir critiqué la gestion de la crise dans les régions anglophones par le gouvernement. Il avait d’abord été détenu au poste de police de Buéa avant d’être transféré dans un lieu non révélé.