Quatrième de couverture :
Au Canada, Jean Iritimbi, un Centrafricain sans papiers, rencontre, dans l’hôtel où il travaille au noir, Patricia, une cliente blanche qui s’éprend de lui. Pour le ramener avec elle à Paris, elle vole le passeport d’un Afro-Américain. Mais Jean Iritimbi n’a pas dit à Patricia qu’il a une famille au pays, une femme et deux filles. Il apprend en les appelant qu’elles sont en route pour le rejoindre. Hélas, le bateau qui les transporte fait naufrage. On annonce peu de survivants.
Roman en trois parties qui donnent successivement la parole à Jean Iritimbi, Patricia et Vanessa, la fille cadette de Jean, Patricia aborde la question de l’exil et des migrants qui traversent la Méditerranée.
Jean a choisi de quitter la Centrafrique pour Montréal mais son désir de liberté et d’une vie meilleure était insuffisant aux yeux de l’administration pour qu’il obtienne des papiers. Il a échoué dans un hôtel près des chutes du Niagara où il travaille au noir depuis dix ans et même s’il continue à envoyer de l’argent et à avoir des contacts avec sa femme et ses deux filles restées au pays, il sent bien la distance qui le sépare désormais de ses proches. Aussi, quand il capte l’attention d’une cliente de l’hôtel, il se laisse faire et accepte l’amour et tout ce que cette femme est prête à faire pour lui. Elle le ramène chez elle, à Paris, où il profite de son appartement et de son argent. Elle, c’est Patricia, une bibliothécaire discrète, voire effacée, dont la vie était « en vacance » avant de rencontrer Jean. Quand celui-ci comprend que sa femme et ses filles ont quitté leur village pour venir à leur tour en France, et que le bateau qu’elles ont emprunté pour traverser la Méditerranée a chaviré, il lâche tout pour les retrouver au fin fond de l’Italie. Et c’est malgré tout sur Patricia qu’il ose s’appuyer pour prendre soin de sa cadette, Vanessa, douze ans.
Le vécu de Jean en exil peut sembler un tant soit peu égoïste, mais Geneviève Damas fait bien ressentir l’ambivalence des sentiments qui le traversent. Ce sont surtout les parties consacrées à Patricia et à Vanessa qui m’ont touchée. C’est presque incroyable, ce qui se passe dans la vie de cette femme parce qu’elle est tombée amoureuse d’un homme sans papiers, ce qu’elle accepte, ce qu’elle ose, ce qui s’épanouit en elle. Geneviève Damas se glisse aussi avec délicatesse dans la peau de Vanessa et nous fait percevoir l’étendue de la perte, l’étendue du chemin à parcourir pour simplement vivre, revivre après la tragédie. L’émotion m’a cueillie à la fin du livre.
Tout cela est bien documenté, comme l’attestent les nombreux remerciements de l’auteure à la fin du livre mais tout cela est dit à hauteur d’homme, de femme, d’enfant, dans une langue orale, sans pathos et d’autant plus touchante. C’est un roman court mais dense et plein d’humanité.
« Elles disent que ça va, mais je n’en suis pas sûr, il y a de l’inquiétude au fond de leurs voix et, tout à coup, je comprends qu’elles sont en train de devenir comme moi, mes femmes, c’est bien plus qu’un continent que l’on traverse, c’est quelque chose d’invisible qui nous transforme et nous laisse sur le qui vive, à ne plus faire confiance à personne. » (p. 39)
« Si je m’écoutais, je poserais ma main sur ton dos pour te rassurer, pour que tu te sentes moins seule, certainement pour m’en convaincre aussi, mais depuis hier j’apprends à retenir mes gestes, ce sera ça aussi la vie avec toi, savoir que j’ai envie de te donner et de te dire, et garder, toujours garder, ne livrer qu’une portion congrue de ce que je voulais t’offrir, pour que tu puisses le recevoir, accepter ce qui t’arrive de moi. Donner à peine pour te laisser toute la place. » (p. 78)
Geneviève DAMAS, Patricia, Gallimard, 2017 (aussi en Folio)
Le Mois belge 2021 – catégorie Traverse (évasion, voyage – il y a pas mal de voyages douloureux dans ce roman)
Challenge Petit Bac 2021 – Prénom 2