Quatrième de couverture :
Ils ne sont plus là pour transmettre le passé à Eva.
Icek, le survivant. Terne et laid, le grand-père paternel d’Eva semblait sans histoire. Un immigré juif venu de Pologne dans les années 30, comme bien d’autres. Jusqu’au jour où Eva pense découvrir son passé communiste. Qui était vraiment Icek ?
Groïnim, l’enfant d’Icek, le père d’Eva. Peu avant de mourir, il lui a légué une vidéo qui témoigne de son passé de guerre. Mais, à l’analyse, tout ne colle pas… Où se situe la vérité alors que l’enfance cachée de Groïnim lui a appris la dissimulation ?
Doniek, le résistant, grand-père maternel d’Eva. Figure importante de la lutte armée belge, dirigeant sioniste respecté et fervent anticommuniste, Doniek a vécu une descente aux enfers lorsqu’un historien a mis en cause son action. Qui a tort, qui a raison ?
Au carrefour des vies du Survivant, de l’Enfant et du Résistant, Eva se saisit de sa propre existence et se forge un destin choisi, dans l’amour des silences du passé.
Dans ce roman, Eva la narratrice se lance sur les traces du passé, à la rencontre de ses grands-parents maternels et paternels et de son père.
La première partie raconte l’histoire d’Icek et Dora, d’origine très modeste, petits commerçants pendant la guerre à Charleroi. Ils étaient venus de leur shetl en Pologne et c’est l’occasion pour Eva de dérouler l’histoire des Juifs entre Pologne et Russie tout au long du vingtième siècle jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Une histoire marquée évidemment par la pauvreté, l’antisémitisme, le balancement entre le rêve d’un état juif et le désir de rester enraciné dans cette Europe de l’Est. C’était intéressant mais j’y ai trouvé cela un peu long. En même temps, ce grand-père paternel a semblé toute sa vie si discret, si falot, qu’il méritait bien que l’on racontât ses origines complexes pour lui redonner vie et consistance.
La deuxième partie s’intéresse à Groïnim (ou Grégoire), le fils d’Icek et Dora qu’ils ont été contraints de cacher pendant la guerre. Le garçon a alors vécu à Momignies, près de la frontière française, caché dans un établissement religieux catholique. C’est la partie que j’ai trouvée la plus touchante. Devenu adulte et père de famille, Grégoire restera silencieux sur cette partie de sa vie loin de ses parents mais il en gardera une violence que subiront ses proches.
Enfin, dans la troisième partie, Eva s’attache à l’autre grand-père, juif lui aussi, mais d’un tout autre milieu qu’Icek et Dora. Militant sioniste, ce résistant a participé à la seule insurrection d’un convoi de déportés partis de la caserne Dossin à Malines. Un jour, l’histoire de cette révolte aidée par des résistants belges est remise en cause : que s’est-il vraiment passé dans ce convoi ? Quel rôle exact Doniek a-t-il joué ? C’est l’objet des dernières recherches d’Eva , qui finira par renoncer à tout connaître exactement au risque de se laisser piéger et enfermer par cette « malédiction des mots ».
« Juste avant de commencer à écrire ce livre, j’ai regardé pour la seconde fois ce testament moral. La première fois, Eva l’avait visionné en 2008, juste après l’enregistrement. Puis, malgré la volonté qu’elle essayait de mobiliser, elle n’en avait plus eu le courage. Elle avait peur de l’émotion, comme d’habitude. D’ailleurs, en tapant ces quelques lignes, la peur m’habite encore. La peur est mon moteur et mon frein. Plus que tout, la peur qui me paralyse aujourd’hui est celle d’une sorte de malédiction familiale, la malédiction des mots. Cette malédiction qui a eu pour conséquence que le seul vestige, le seul héritage personnel qu’ait laissé mon père, se trouve gravé dans un DVD. J’aimerais faire un pas de plus, rompre le sort qui s’acharne sur notre parole. Écrire un livre. Mais à chaque mot qui s’inscrit sur l’écran de mon ordinateur, j’ai peur que disparaisse à jamais le suivant, et avec lui toute la mémoire de la famille. Cependant, comme je ne sais rien, ou si peu, je ne peux qu’inventer, ou plutôt narrer, pour le dire plus élégamment. Toutes les histoires sont des mensonges. Qui disent la vérité. Pour me consoler, je me mets à tordre Cocteau. » (p. 20-21)
Ce roman m’a fait penser à d’autres lectures : Outre-Mère de Dominique Costermans et Max, en apparence de Nathalie Shorownek. Dans les deux cas, une descendante d’un homme au comportement particulier durant la seconde guerre mondiale tente de découvrir la vérité sur ce personnage de la famille. Les recherches sont difficiles, fragmentaires, elles laissent les narratrices sur leur faim et les générations qui suivent Max et Charles portent le poids des secrets de famille. Ici, Eva entame la même démarche, à ceci près qu’elle cherche à tout comprendre de ses deux ascendants maternel et paternel, si différents dans leur manière de vivre leur condition juive. Pourquoi Icek semble-t-il avoir été si passif, pourquoi l’image bien entretenue de Doniek est-elle soudain écornée ?
Comme je l’ai dit, c’est surtout la partie concernant l’enfant caché qui m’a le plus touchée. Le reste m’a intéressée, notamment cette histoire de l’évasion du XXè convoi, mais m’a moins « atteinte ». D’autre part j’ai été un peu gênée par le passage – souvent d’une phrase à l’autre – d’une narration à la troisième personne à une narration en je : Evelyne Guzy est sans doute le double de la narratrice Eva mais je n’ai pas compris l’intérêt de ces changements de narration. Peut-être une façon de se protéger, de se mettre à distance de la douleur de son père Groïnim et de ce risque lié à la malédiction des mots ?
Evelyne GUZY, La malédiction des mots, M.E.O., 2021
Un grand merci à Gérard Adam et aux éditions M.E.O. pour l’envoi de ce livre !
Carte de Belgique : Charleroi