L’épée du chevalier Zemmour

Publié le 01 avril 2021 par Sylvainrakotoarison

" La machine est rodée. Implacable. D'abord, on ne lui parle que de grands principes, d'universel, d'humanité : il n'y a plus d'hommes, il n'y a plus de femmes, rien que des êtres humains égaux, forcément égaux, mieux qu'égaux, identiques, indifférenciés, interchangeables. Le discours qui confond ses propres valeurs avec celles de l'humanité est celui de toutes les puissances dominantes, de l'Empire romain jusqu'à la grande nation, du bon temps des colonies jusqu'à l'american way of life. " (Éric Zemmour, 2006).

C'est une surprise et probablement que cela va créer une nouvelle polémique comme l'éditorialiste et journaliste politique en est coutumier depuis une quinzaine d'années, ou plus exactement, depuis son exposition médiatique tous les samedis soirs chez Laurent Ruquier, à la télévision, sur France 2, entre 2006 et 2011. Éric Zemmour vient en effet d'être élu membre de l'Académie française ce mercredi 31 mars 2021 dans l'après-midi, dès le second tour.
Alors que la vacance du fauteuil du philosophe Michel Serres, mort le 1 er juin 2019, a été déclarée le 21 janvier 2021, la candidature d'Éric Zemmour était restée confidentielle par la volonté des Immortels eux-mêmes. Bien entendu, cette candidature était possible (il faut juste avoir moins de 75 ans), mais les académiciens ne voulaient pas se prêter à une polémique avant le jour de l'élection, pour éviter les pressions et les tensions.
Âgé de 62 ans, Éric Zemmour ne voulait pas postuler à l'Académie. Du moins dès maintenant. Certes, il convoitait un siège depuis longtemps, une reconnaissance dont il croit avoir besoin pour s'imposer dans le débat intellectuel et ne pas y rester à la marge, comme une sorte d'agent d'une extrême droite à laquelle il n'a jamais appartenu. Mais à la mort de l'ancien Président de la République Valéry Giscard d'Estaing, le 2 décembre 2020, il s'était donné comme défi d'être candidat à sa succession. Étant donné les délais relativement longs, par décence et par hommage, il ne fallait pas compter sur cette élection avant l'année 2022 voire 2023.
C'est l'académicien (élu le 18 décembre 1997 au fauteuil de Georges Duby) Jean-Marie Rouart qui a convaincu l'éditorialiste de se présenter dès maintenant. Il lui avait fourni un certain nombre d'arguments. D'une part, il n'aurait aucune chance de succéder à VGE, fauteuil également de Léopold Sédar Senghor, Alexandre Ribot (un chef du gouvernement sous la Troisième République), Mgr Félix Dupanloup (évêque d'Orléans pendant près de trente ans), mais aussi celui du sulfureux Charles Maurras. D'autre part, l'Académie ne serait intéressante, pour lui, qu'avant la campagne présidentielle de 2022 et son honorabilité pourrait conforter son champ des possibles.
Éric Zemmour a donc accepté de se replier sur le fauteuil de Michel Serres, le plus rapide à pourvoir, fauteuil cependant très prestigieux aussi puisqu'il fut celui de Tocqueville, Lacordaire, Albert de Broglie, Foch, Pétain, André François-Poncet et aussi Edgar Faure.
C'est donc Jean-Marie Rouart qui a présenté la candidature d'Éric Zemmour. Ce dernier a adressé une notification solennelle à Hélène Carrère d'Encausse, la Secrétaire perpétuelle (en principe, cette fonction ne se féminise pas, mais je le fais quand même), comme selon les usages, mais il a refusé d'offrir de rendre visite à chacun des académiciens. Il préférait éviter d'essuyer quelques refus de la part de certains de ses éventuels futurs compagnons. Toutefois, Jean-Marie Rouart semble avoir fait un grand travail de persuasion auprès d'eux.
L'élection s'est déroulée de manière très neutre et courtoise, sans polémique, et Éric Zemmour a été élu au bout du second tour (on peut voir le détail du vote sur le PV qu'on peut télécharger ici).
L'élection d'Éric Zemmour parmi les Immortels ne manquera donc pas de provoquer des réactions plus ou moins passionnelles de la part de ses contemporains. Il restera cependant une dernière étape avant d'être solennellement reçu sous la Coupole, qui peut être un obstacle pour Éric Zemmour : l'accord du Président de la République, en l'occurrence Emmanuel Macron, qui est également le protecteur de l'Académie française.
La position d'Emmanuel Macron, à quelques mois de l'élection présidentielle, pourrait dépendre de sa stratégie soit de reconquérir ses électeurs de gauche, soit au contraire, de consolider son électorat de droite. Sur le plan personnel, le Président lui avait fait part de son soutien lorsqu'il avait été menacé. Dans le cas positif (réception à l'Élysée qui vaut approbation présidentielle), Éric Zemmour prononcera un discours de remerciement et d'éloges à Michel Serres.

À l'issue du vote, plusieurs académiciens ont commenté cette élection surprise. Jean-Marie Rouart, le principal protagoniste de ce vote, a expliqué qu'il avait joué le Jean d'Ormesson qui manquait tant à l'Académie alors qu'il savait convaincre les grands talents de postuler. Il a expliqué son choix de le soutenir : " Je n'ai pas les idées d'Éric Zemmour, mais je lui reconnais beaucoup de talent, une grande culture, une connaissance historique sur le tas, comme l'avait Alain Decaux, et ses essais souvent décapent. On a besoin de cet esprit d'insolence et de polémique, les académiciens ne doivent pas se satisfaire d'un ronron de vieillards sans aspérité, il faut revivifier notre assemblée, refaire naître le débat des idées. ".
Autre académicien dont l'élection avait fait grand bruit, le 10 avril 2014, le philosophe Alain Finkielkraut s'est réjoui de l'arrivée de cet essayiste qui n'a pas besoin de l'Académie pour vendre ses livres : " Le coopter était nécessaire. L'Académie se devait de refléter l'air du temps et on ne peut pas mettre à l'écart ces centaines de milliers de lecteurs qui sont également des électeurs. Les institutions sont à tous, y compris ceux qui ne sont pas dans la pensée commune. Les thèmes de la souveraineté et de l'identité sont essentiels dans une société en perte de repères. Ils devaient faire place dans une assemblée qui prétend conserver la France en tant que culture et que langue. ".
En revanche, l'historien Pierre Nora, élu à l'Académie le 7 juin 2001, s'est déclaré scandalisé par cette élection : " C'est la victoire de l'insignifiance et de la duperie historiques. Mes collègues ne s'enorgueillissent pas de l'avoir choisi parmi les nôtres et j'espère que le Président de la République saura prendre la mesure courageuse qui s'impose pour maintenir l'Académie à un niveau minimal d'honnêteté intellectuelle. ".
Quant à l'heureux élu, Éric Zemmour s'est bien gardé de commenter sa propre élection. Il a envoyé un message de remerciement à chacun de trente-cinq autres académiciens, leur présentant déjà le fil de son discours de réception (il insistera sur sa propre identité). Le triomphe modeste, il doit maintenant surtout travailler ce discours qui est loin d'être facile à rédiger. Il compte le lire avant le début de la campagne de 2022 (généralement, cela prend plus d'un an).
Mais son absence auprès des journalistes n'était pas non plus sans arrière-pensées. C'était aussi pour ne pas répondre à certaines questions. On évoque en effet depuis plusieurs mois son éventuelle candidature à l'élection présidentielle de 2022. Généralement, on va à l'Académie lorsqu'on a fini sa carrière politique, ce fut le cas pour de nombreux grands responsables politiques, au-delà de VGE, Pierre Messmer, Jean-François Deniau, Jacques Soustelle, Simone Veil, Maurice Schumann, Edgar Faure, Alain Peyrefitte, Michel Debré, Édouard Herriot, Xavier Darcos, etc.
Éric Zemmour pourrait, lui, se servir de l'Académie comme d'un tremplin politique. C'est ce qui avait fait hésiter quelques académiciens à voter pour lui. Sa détestation de Marine Le Pen pourrait le convaincre de s'engager en 2022. Il ne reste pas beaucoup de temps avant l'élection, il n'a pas de parti mais il sent qu'il est capable de fédérer toute une mouvance qu'il appellerait populaire, celle qui voudrait revenir à la France de De Gaulle, celle qui était respectée dans le monde et aussi respectée en son sein, ses lois appliquées, son ordre assuré. Pour l'instant, il n'a pas pris de décision, sans doute attend-il des sondages une première idée de l'impact de son éventuelle candidature, mais il a déjà confié à certains proches que le financement de sa future campagne ne devrait pas lui poser beaucoup de problèmes...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01 er avril 2021)
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Pour aller plus loin :
Procès verbal de la séance de l'Académie française du 31 mars 2021 (à télécharger).
Éric Zemmour.
Dominique Jamet.
Olivier Duhamel.
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Jean-Louis Servan-Schreiber.
Alfred Sauvy.
Claude Weill.
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Le Siècle de Jean Daniel selon Desproges, BHL, Raffy, Védrine et Macron.
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Laurent Joffrin.
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Michel Droit.
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