Dans le Sud de l'Italie, quelque chose d'historique se joue et ça passe pratiquement complètement inaperçu.
Dans la ville industrielle italienne de Lamezia Terme, celle-ci pourrait être paradisiaque avec sa vue imprenable sur la mer Tyrrhénienne qui fait un triangle limité à l'Ouest par la Corse et la Sardaigne, à l'Est par la péninsule italienne et au Sud par la Sicile.
Ce triangle est à la fois son charme et son calvaire.
Entre les champs cultivés et les usines, se tient en ce moment, le giga procès de la Ndrangheta.
Ndrangheta: organisation mafieuse calabraise qui a toujours réussi à se tenir si discrète qu'elle n'a pas souvent attirée l'attention ni des médias, ni de la répression policière. Son fonctionnement, puisant ses sources dans les milieux ruraux, a toujours été opaque, essentiellement familial, puisqu'il n'y a jamais eu de repentis (Pentiti) d'envergure.
Le 13 janvier dernier commençait le méga-procès. 335 accusés. 600 avocats. 400 accusations de meurtres, de trafic de drogue, de blanchiment d'argent et plus encore. Il s'agit de l'un des plus immense procès en Italie des 60-70 dernières années. Le procès est anticipé durer au moins deux ans et a été appelé Rinascita-Scott, c'est-à-dire Scott ressuscité. Le nom a été choisi de l'agent administratif menant le dossier pendant 8 ans, se battant constamment contre les organisations Ngrandhetistes, et qui est décédé d'un bête accident de voiture. Au nom de son dévouement, on a pensé à lui pour ce giga-procès. On a aussi appelé ce procès le procès du siècle dans les journaux italiens. Mais curieusement, aucune station télé ne rapporte quoi que ce soit sur le sujet. Ce qui confirme que la gangraine sociétaire est réellement intégré aux quotidien des Italiens comme la mauvaise herbe dans un jardin. Ce n'est jamais à la Une des journaux non plus. On a peur de représailles à ce point. Ce n'est même pas une controverse politique. Pour les mêmes raisons. C'est l'éléphant blanc dans la pièce.
En raison de l'énormité de la chose, on a construit, pour 4,7 millions d'Euros, un bunker précisément pour ce procès. C'est un ancien centre d'appel, abandonné, puis reconstruit en un temps record dans la région Calabraise reconnue comme le secteur des projets jamais terminés. Sa structure de plus de 35 000 pieds peut accueillir jusqu'à 947 personnes (distanciées). Tout le procès se déroule principalement en zoom en raison de la pandémie, mais aussi parce que plusieurs sont déjà en prison. Pratiquement tout le monde est masqué, ce qui ajoute de nouvelles couches de secrets.
L'évènement géant est observé dans un presque parfait silence en Italie. Pour plusieurs raisons. La première étant que, un peu comme la souveraineté ici, la guerre contre le crime organisé n'est plus une priorité gouvernementale depuis longtemps. Puis, l'attention sur la Covid a dérivé les champs d'intérêts et dirigé un potentiel débat public, ailleurs.
Depuis les assassinats des magistrats Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, visant les même têtes, en 1992, on tient les choses beaucoup plus secrètes un peu partout. De plus l'attention que ces deux morts avaient amenée sur l'organisation n'avait pas plu aux membres de l'organisation calabraise. Trop de lumière, aveugle. On préfère toujours diriger la lumière. On préfère rester sous le radar d'à peu près tout le monde.
La mafia a changé de visage. Il ne porte plus nécessairement de vêtements chics sans raisons, portant un chapeau folklorique en fumant le cigare. Non, il travaille dans le milieu politique, justifiant le vêtement chic et se camoufle admirablement dans l'entreprenariat italien. On se marie au légitime comme le jaune et le bleu forment le vert. Sans que ça ne se remarque dramatiquement. On est passé des fruits de la production, vente et revente de la drogue à l'alimentaire, le milieu de la construction mondiale, les voiries, et même, pendant la pandémie on a fait fortune dans les entreprises funéraires.
Ce sont deux épidémies de front qu'affrontent les Italiens.
Dans l'oeil du grand public, la Ndrangheta a toujours été considérée (à tort) comme la plus insignifiante des organisations criminelles italiennes. Mais dans les 10 dernières années, elle est devenue l'organisation dominante du genre. Pas seulement dans le Nord de l'Italie, mais dans plusieurs autres pays d'Europe aussi, comme l'Allemagne. Et dans les trois Amériques.
On découvre, en fouinant, que ce ne sont plus de simples brutes voulant ventiler leur trop plein de rage, mais des diplômés scolaire, formés à l'université dans des domaines précis. Comme l'économie et la gestion financière. Le droit aussi, pour mieux le contourner.
Gennaro Pulice, 41 ans, a assassiné 6 personnes afin de venger la mort de son père. Il l'a fait le jour de l'anniversaire de la mort de son père. Il est diplômé en droit, parle plusieurs langues, collabore avec la police, et a une important expérience d'affaires internationales, même si il tue depuis ses 16 ans. Il a livré à la police toute l'histoire et la structure de l'organisation. Il est formidablement utile au giga-procès. (si il y survit).
Il s'agit de l'un des premiers pentiti (repentis) d'importance dans l'histoire de la Ndrangheta. Ce qui est le plus grand des sacrilèges dans le milieu. Ils seraient autour de 58 comme lui. Ils ont tous dit qu'ils confessaient pour leurs enfants. On les voit confesser le dos tournés aux caméras sur Zoom. Afin de se protéger, eux aussi. La plupart ont été abandonnés par leurs femmes. Parce que dénoncer est un total pêché.
Mortel.
Et les Femmes ne sont pas si idiotes non plus pour continuer à tremper sans ces eaux. La violence ne les épargne pas non plus.
Les procureurs risquent leur vie tous les jours depuis le début de ce procès. On les appelle même les walking dead.
Pendant ce temps, l'Italie regarde ailleurs. Ce qui ne veut pas dire que le procès n'est pas d'une importance capitale pour la région. Il y aura un avant et un après. Calabre est l'une des régions les plus pauvres d'Italie et le taux de crime est toujours resté très élevé. Le succès de ce procès soufflera sur la saleté du secteur.
Un endroit où le décor est si beau que ce sont des films d'amour qu'on voudrait y tourner.
Pas des suites du Godfather.