Nous restons figés parfois
au milieu d’une rue,
d’un mot
ou d’un baiser,
les yeux immobiles
comme deux longs verres d’eau solitaire,
la vie immobile
et les mains inertes entre un geste et celui qui aurait suivi,
comme si elles n’étaient plus nulle part.
Nos souvenirs alors sont d’un autre
dont à peine nous nous souvenons.
C’est comme si nous prêtions notre vie pour un temps,
sans l’assurance qu’elle nous sera rendue
et sans que personne nous l’ait demandée,
mais en sachant qu’elle sert alors
à quelque chose qui nous concerne plus que tout.
La mort n’est-elle un prêt, elle aussi,
au milieu d’une rue
d’un mot
ou d’un baiser ?
*
Nos quedamos a veces detenidos
en medio de una calle,
de una palabra
o de un beso,
con los ojos inmóviles
como dos largos vasos de agua solitaria,
con la vida inmóvil
y las manos quietas entre un gesto y el que hubiera seguido,
como si no estuvieran ya en ninguna parte.
Nuestros recuerdos son entonces de otro,
a quien apenas recordamos.
Es como si prestásemos la vida por un rato,
sin la seguridad de que nos va a ser devuelta
y sin que nadie nos la haya pedido,
pero sabiendo que es usada
para algo que nos concierne más que todo.
¿No será también la muerte un préstamo,
en medio de una calle,
de una palabra
o de un beso?
***
Roberto Juarroz (1925-1995) – Poésie verticale (Points, 2006) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Roger Munier.