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En période de crise, il est toujours plus difficile de revendre des pièces majeures, d’où une baisse notable des résultats pour les artistes les plus cotés, faute de chefs-d’œuvre. Pour autant, leur valeur n’est pas remise en question. Malgré l’évident ralentissement du marché en 2020 et la baisse de leurs produits de ventes, les contemporains les plus solides maintiennent leur position. Il en va ainsi de Yoshitomo NARA, Yayoi KUSAMA, Alberto GIACOMETTI, Keith HARING ou Pierre SOULAGES, qui comptent toujours parmi les 50 artistes les plus performants du monde, toutes époques confondues.
En revanche, la pénurie d’œuvres emblématiques génère des contre-performances particulièrement lourdes pour d’autres signatures brûlantes. Ce ralentissement du marché est significatif pour Julie MEHRETU, dont le produit de ventes chute de -99,6% faute d’une belle toile à l’affiche, pour Mark TANSEY (-98%), dont l’unique œuvre susceptible d’atteindre le million en 2020 est ravalée, pour Rudolf STINGEL (-83%) avec quatre toiles manquantes par rapport à l’an dernier, mais aussi pour Philip GUSTON (-82%), Christopher WOOL (-70%) et Mark BRADFORD (-61%).
Même constat du côté des grands sculpteurs. Les produits de ventes se détériorent considérablement pour Berlinde DE BRUYCKERE (-98%), dont la seule grande sculpture proposée est ravalée (Kooi, 1990), pour Louise BOURGEOIS (-65%) à défaut d’une œuvre aussi forte que la Spider vendue 32m$ l’an dernier (Christie’s New York) et pour Jeff KOONS (-97%), détenteur du record d’adjudication pour un artiste vivant depuis 2019 avec les 91m$ emportés par sa sculpture Rabbit (Christie’s New York). Pour ces artistes dont la cote atteint des millions, une seule œuvre peut tout changer dans les classements. À défaut d’une pièce aussi iconique que son rutilant Rabbit, Koons dégringole de la 15e à la 388e place mondiale.
Les révélations de l’année
Contre toute attente, la crise ne freine pas l’arrivée de jeunes artistes aux enchères, bien au contraire. Un millier de nouveaux créateurs, nés après 1980, font leur premier pas sur le second marché en 2020, contre un peu moins de 900 l’année précédente.
Que de nouveaux noms attirent l’attention n’est pas un phénomène nouveau. Ce sont surtout les niveaux de prix atteints qui étonnent, car certains “prodiges” se retrouvent propulsés à des niveaux de prix nettement supérieurs à ceux d’artistes contemporains mieux connus. Lorsqu’un jeune artiste sort du lot aujourd’hui, appuyé par une bonne critique et une belle exposition, les acheteurs prêts à dépenser beaucoup d’argent sont beaucoup plus nombreux que par le passé.
Cas particulier de ce marché ultra-contemporain (celui des artistes nés après 1980), Matthew WONG, dont aucune œuvre n’avait fait l’objet de transaction en salle avant son décès tragique en 2019. Plus de 26m$ sont échangés en 2020 pour 24 œuvres seulement. L’artiste obtient la plus haute adjudication lors de la vente Sotheby’s de juin (1,8m$ pour « The Realm of Appearance », une œuvre estimée initialement entre 60.000$ et 80.000$ et acquise au terme d’enchères animées par 59 acheteurs potentiels). Salué comme “l’un des peintres les plus talentueux de sa génération” par Roberta Smith, critique d’art au New York Times, Matthew Wong est absorbé post-mortem par un marché toujours en quête de nouveaux mythes.
Des adjudications à couper le souffle sont à signaler pour de jeunes artistes dont la peinture traite les sujets du moment: les thèmes des identités raciales, sexuelles, de genre, explorés notamment par les trentenaires Christina Quarles (1985) et Salman Toor (1983). Apparue aux enchères en 2018, Christina QUARLES décroche 655.200$, plus de six fois l’estimation haute, à New York (« Tuckt », Phillips, 8 décembre 2020). Introduit en 2020 sur le second marché, Salman TOOR grimpe encore plus haut. Né au Pakistan et établi aux États-Unis, l’artiste devait bénéficier d’une première exposition muséale au Whitney Museum, mais la pandémie en a décidé autrement. Sa présence aux enchères n’en n’est pas moins remarquable, l’artiste obtenant 822.000$ en décembre pour une toile estimée 100.000$ à 150.000$ (Rooftop Party with Ghosts 1, Christie’s New York). Ses peintures figuratives aux personnages queer répondent à la demande actuelle. De #MeToo à Black Lives Matter, les bouleversements sociaux-culturels impactent plus que jamais le Marché de l’Art.
Les nouveaux météores
Le marché reste très porteur pour les artistes africains ou d’ascendance africaine, du fait de leur valorisation marquée par les institutions culturelles américaines dont la politique de solidarité envers le mouvement “BIPOC” (black, autochtones, people of color) devient un nouvel impératif de gouvernance et d’acquisitions. Certains musées débloquent des fonds spéciaux pour l’achat d’œuvres d’artistes du BIPOC des 20e et 21e siècles, c’est notamment le cas du Met, qui s’est engagé à consacrer 10 millions de dollars à cette fin. Cette recherche affirmée d’une société plus inclusive et équitable s’accentue en 2020 avec “Black Lives Matter”, qui conduit certaines institutions à vendre des œuvres d’artistes blancs, souvent masculins, pour permettre la diversification de leurs collections permanentes. Deux ans après le record de 21,1m$ pourPast Times (昔日) de Kerry James MARSHALL (Sotheby’s), voici les nouvelles signatures qui électrisent les ventes en 2020.
L’un des coups de marteau les plus retentissants revient à Amy SHERALD (1973), incontournable depuis sa réalisation du portrait officiel de la First Lady Michelle Obama en 2018, et représentée depuis par la galerie Hauser & Wirth. Sa toile The Bathers part pour 4,26m$ le 7 décembre chez Phillips, soit 21 fois son estimation haute. Amy Sherald l’emporte donc sur l’auteur du portrait officiel de Barack Obama, Kehinde WILEY (1977), dont une œuvre est vendue le même jour à un niveau de prix bien inférieur: 378.000$ (Portrait of Mickalene Thomas, the Coyote). Il est vrai que Amy Sherald est beaucoup plus rare sur le marché. Les collectionneurs se sont aussi concentrés sur des signatures émergentes, comme celle de l’artiste ghananéen Amoako Boafo.
Amoako Boafo (1984)
En décembre, ses portraits colorés célébrant l’identité noire s’arrachent autour de 50.000$ sur le stand de Mariane Ibrahim pendant Art Basel Miami, en décembre 2019. Un an plus tard, leur valeur est multipliée par 10. BOAFO commence à faire couler beaucoup d’encre en février 2020, avec la vente de sa toile The Lemon Bathing Suit pour 881.500$ chez Phillips. Un prix exorbitant pour un premier passage en salle de ventes et pour une œuvre initialement estimée entre 40.000$ et 65.000$. Ce coup de marteau aurait pu avoir l’éclat d’un feu de paille, mais il n’en fut rien. Soutenu par des personnalités riches et influentes, courtisé par le monde de la mode et adoubé par les musées, Boafo est devenu incontournable. Ses 32 toiles présentées aux enchères en 2020 se sont toutes arrachées, parfois au décuple des estimations. C’est le cas de Baba Diop, une toile de 2019 vendue pour 1,15m$ le 2 décembre chez Christie’s, à Hong Kong (Chine).
Otis Kwame Kye Quaicoe (1990)
À tout juste 30 ans, Otis Kwame Kye QUAICOE a plusieurs points communs avec Boafo. Originaire lui aussi du Ghana, il excelle dans l’art du portrait et collabore avec la galerie Roberts Projects qui accueille sa première exposition personnelle sur le sol américain au début de l’année 2020 (Black Like Me). Quaicoe intègre alors d’importantes collections privées avant d’être introduit aux enchères début juillet. Comme pour Boafo, les prix flambent immédiatement. Estimée 20.000$, la toileShade of Black finit sa course à 250.000$ chez Phillips. Les six toiles suivantes se vendent au-dessus des estimations hautes, y compris à Hong Kong (Chine).
Kudzanai-Violet Hwani (1993)
Le succès de Kudzanai-Violet HWAMI s’inscrit dans la même tendance. Née au Zimbabwe en 1993, formée à Londres (Wimbledon College of Arts) et défendue par la galerie Victoria Miro, Kudzanai-Violet Hwani développe des œuvres figuratives imprégnées d’un multi-culturalisme fortement prisé par le marché actuel. Introduite sur le second marché fin 2020, elle décroche 252.000$ avec Eve on Psilocybin, une toile achevée en 2018 (Phillips). L’œuvre est acquise sept fois plus cher que l’estimation moyenne.
Les artistes américains Jordan Casteel, Noha Davis, Alex Gardner, Amy Sherald et Kehinde Wiley, qui ont en commun un travail sur l’identité noire aux États-Unis, remportent tous de nouveaux records. Apparu aux enchères cette année, Alex GARDNER (1987) reçoit 170.100$ contre une estimation haute de 300 00$ (To be titled, Phillips, 8 décembre); le “génie fou” Noah DAVIS (1983-2015) quintuple quant à lui son estimation haute en décrochant 400.000$, 15 jours après son exposition posthume à la galerie David Zwirner (In Search of Gallerius Maximumianus, Phillips, 4 mars); Jordan CASTEEL (1989), nommé l’un des artistes les plus influents “30 under 30” par le magazine Forbes en 2019, est propulsé à 668.000$ (Mom, Christie’s Londres, 12 février).
Très engagée sur le marché ultra-contemporain, Phillips détient la plupart de ces nouveaux records. Pour sa vente New Now New York (30 septembre), la société introduit six nouveaux artistes aux enchères, dont Arcmanoro NILES (23.750$, soit près de huit fois son estimation basse pour Homegrown); Melike KARA (32.500$, trois fois son estimation basse pour Tankstelle (mother)) et Van HANOS (15.000$ contre une estimation basse de 4.000$ pour Wishful Thinking). Quoique les ventes se tiennent à New York, cette soif de nouveauté n’est pas l’apanage des collectionneurs américains. Les enchérisseurs sont issus de près de 50 pays différents.
Le Marché de l’Art Contemporain, qui représente 16% du volume d’affaires mondial, repose en grande majorité sur ces œuvres récentes. En effet, pas moins de 13% du Marché de l’Art dépend, aujourd’hui, d’œuvres créées après 2000. Une proportion naturellement amenée à augmenter…
illustration Amoako Boafo The lemon bathing suit