" Au chargement
Les camions sur les quais partiront pour Rungis
L'Italie Guingamp la Grèce
ou ailleurs
On m'avait pourtant bien prévenu
" Tu verras
Le chargement
C'est physique "
Haussement d'épaules
Pousser des carcasses
Ici ou ailleurs
Au chargement on est cinq
Plus un chef
Quant au physique
Il faut passer des rails de l'usine à ceux des camions
Les aiguillages sont foireux
Mal accommodés
Les crochets sur lesquels pendent les bêtes sont souvent à changer
Les camions pas à niveau
C'est-à dire que souvent
Les rails sont en montée
Et qu'il faut pousser
Les carcasses sur des rails qui montent tels des Golgotha de calvaires
Un camion
C'est une bonne heure de taf au moins
Le rythme est effarant
Ça crie ça hurle dans tous les sens pour être sûr que l'injonction soit bien entendue par le collègue
Par trois fois à chaque fois
Malgré le barouf de l'usine
"Charge charge charge
Pousse pousse pousse "
On oublie parfois un aiguillage
" Rail rail rail
Putain de bordel
Rail rail rail "
Trop tard
Une carcasse de cochon ou de vache est tombée
On s'y met à cinq
Remettons la bête au crochet
On sue et on se tait
Deux cent cinquante cochons par camion
Chacun charge à son tour trois bêtes
Soit six crochets de demi-cochons suspendus
Arrange l'aiguillage
Et il faut pousser
Il faut bien tasser dans ce camion
Les bœufs ou les cochons
On sue encore à trouver un interstice de place
À pousser comme des damnés
Où pourront se nicher les dernières bêtes
Les camions dégueulent
Nous presque..."
Joseph Ponthus, extrait de " À la ligne, feuillets d'usine " Éditions de La Table Ronde, 2019.