Angel Corredera, Derniers rites.

Par Alain Bagnoud


         Woodstock 1969


En janvier 1970, un train déraille à la sortie du tunnel de Somport, dans les Pyrénées, à Canfranc. Adam Nada échappe à la mort, mais pas ses parents, des immigrés partis chercher du travail loin de chez eux. Le petit garçon est placé dans une famille d'accueil qui l'adopte. Les Tremblay. Nathan, Alice et leur fille Esther.
Nathan est enseignant, Alice hôtesse de l'air à mi-temps. Tous les deux sont pris dans la bourrasque des années hippie, suivent le mouvement, ses utopies, ses rêves et ses expériences, du communautarisme autogéré à la découverte de soi par les drogues, en passant par la liberté sexuelle, le combat politique et les spiritualités délirantes.
Après une exploration systématique des hallucinogènes, Nathan finit par y perdre la raison, victime d'un ultime buvard de LSD qui le laisse prostré, muet, immobile, son esprit en cercle fermé dans les connexions nouvelles que l'acide a créées. Désemparée, perdue, Alice disparaît dans un ashram, victime d'un quelconque gourou, et abandonne les enfants à leur sort.
Ces scènes et d'autre encore, Adam les a filmées avec une caméra que lui avait achetée Nathan. Deux décennies plus tard, il y a encore des retrouvailles précautionneuses avec Esther, la mort de Nathan et une rencontre avec une Alice vieillie. Il y a aussi la visite de Canfranc trente ans après l'accident qui a tué ses parents biologiques. Il y a un livre fait avec tout ça, d'une écriture dense, sourde, puissante, qui se développe par cercles concentriques autour de deux scènes fondamentales. L'accident de chemin de fer, la nuit où la raison de Nathan lui a échappé. Deux scènes qui précèdent les deux abandons auxquels Adam Nada a dû faire face.
Derniers rites est un livre qui a une grande puissance d'évocation. Qui dessine autant des trajectoires individuelles que le portrait d'une époque, vue à travers la description des mœurs, des usages, mais aussi par l'évocation d'images et de films. Ceux qu'a tournés Adam Nada, Zabriskie Point d'Antonioni, One american Movie, One PM de jean-Luc Godard, mais aussi le feuilleton télévisé Chapeau melon et bottes de cuir et le film pornographique Deep throat de Gerald Damiano.
Roman d'une époque : entendons-nous ! Angel Corredera se signale moins par une analyse du mouvement hippie que par un questionnement incessant de son sens, par l'illustration des attitudes que prônait cette époque, par une analyse des croyances et des relations.
On voit à travers ses personnages des êtres qui cherchent une chose mal définie mais qu'ils croient probable. Une utopie dont ce qui frappe est qu'elle n'est pas déterminée, ni précise. C'est une grande chose vague à l'horizon, qui se détache sur la grisaille du passé mais qui n'a pas de forme, même si elle véhicule une énergie et un espoir de changement, dont le bilan, trente ans plus tard, si l'on en croit Angel Corredera, est très amer.

(Editions de L'Aire)