Chantiers en arrêt. Financements problématiques. Employés du maître d’œuvre et prestataires aux abois. Des doutes sont émis sur le respect des délais prévus pour la livraison de l’infrastructure qui doit accueillir la Coupe d’Afrique des nations à Yaoundé. Enquête sur un remake qui se profile.
C’était il y a trois ans, le 30 novembre 2018. La Confédération africaine de football (Caf) a retiré au Cameroun l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (Can), la plus prestigieuse compétition continentale de football. Principal motif : les retards constatés dans la construction des infrastructures. Au terme de moult négociations avec l’instance faîtière du football africain, les autorités camerounaises ont consenti d’accueillir la compétition en janvier 2021, promettant au passage de présenter des stades, routes et autres infrastructures hôtelières dans des délais convenus.
A neuf mois de la date prévue pour le début de la compétition, les délais de livraison des chantiers n’ont pas été respectés. Les assurances données par le maitre d’œuvre, l’entreprise Magil à l’Etat du Cameroun sonnent comme des vœux pieux. La livraison du stade principal prévue au mois de novembre 2020 n’a pas eu lieu. Même si les techniciens invoquent un taux d’exécution des travaux de 87%. Prévue en août 2020, les stades annexes attendent encore la réalisation de près du quart des travaux attendus. Infrastructure logée dans l’enceinte du stade d’Olembe, l’hôtel quatre étoiles connait juste l’amorce de son installation au sous-sol de l’ouvrage. Soit un taux d’exécution de 50% des travaux attendus pour qu’il soit opérationnel, alors que sa livraison était annoncée en février 2021. Idem du centre commercial, lui aussi prévu dans l’enceinte du stade qui connait à peine des installations équivalent à un taux d’exécution des travaux de 60%. Les espaces verts prévus autour du stade affichent un taux d’exécution de 12%. L’exécution des zones d’embellissement externe du stade d’Olembe arrivait à échéance en janvier 2021. Reste le gymnase et la piscine olympique dont les dates de livraison, elles, sont respectivement prévues en novembre 2021 et février 2022.
Las d’attendre le miracle, des sources proches du projet sont formelles : «Nous sommes très loin d’atteindre les objectifs. Des avancées ont été notées dans l’exécution des travaux, notamment au stade principal, depuis le report de la Can en 2018 mais il reste beaucoup à faire et, le temps ne joue pas en notre faveur.» Et même si une autre source proche du gouvernement invoque la disponibilité des stades d’entrainement lors du Championnat d’Afrique des nations (Chan) qui s’est déroulé du 16 janvier au 7 février 2021 sur le site d’Olembe, le plus gros des travaux reste à faire. Calculette à la main, le taux d’exécution global des travaux du complexe sportif d’Olembe dépasse à peine 50% du taux de réalisation escompté. Bien en dessous du taux de travaux général de 70% qui a value au Cameroun le report de la compétition décidé par la Caf en novembre 2018. L’espoir reste néanmoins de mise au sein du gouvernement. «Rien n’est encore perdu» conjure une source proche du maître d’ouvrage. Seulement, à 6 mois du délai réglementaire de livraison des infrastructures à la Caf, l’espoir peut vite se muer en désillusion. A l’exception de certaines voies d’accès, tout semble à faire. Un scénario qui rappelle les déboires du Cameroun au crépuscule de l’année 2018.
Clauses contractuelles
L’adage est connu de tous : « les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Au terme de la dernière visite de la Caf, le gouvernement, conforté par l’entreprise maitre d’œuvre de l’époque Gruppo Piccini affichait un optimisme certains quant à la livraison des infrastructures en mars 2019. Une augmentation des effectifs de main d’œuvre avait même été consentie. Rien n’y a fait. Jusqu’à ce que le contrat réunissant les deux parties soit résilié, en fin 2019. Entre temps, l’entreprise qui annonçait la livraison des ouvrages en 30 mois avait consommé 110 milliards de Francs Cfa sur l’enveloppe globale estimée à 162 milliards de Francs Cfa. C’est dans ce contexte que le gouvernement scelle un nouveau contrat avec l’entreprise canadienne Magil, début 2020.
La convention assumée par le Ministère des sports et de l’éducation physique (Minsep) attribue à l’entreprise canadienne l’achèvement de tous les travaux contenus dans le portefeuille de son prédécesseur Gruppo Piccini. L’enveloppe convenue entre les deux parties est arrêtée au montant de 55 milliards de Francs Cfa. Un contrat qui selon des sources proches du projet intervient dans un contexte marqué par des problèmes de trésorerie.
Le nouveau maitre d’œuvre rassure le gouvernement quand à sa capacité d’honorer ses engagements. «Magil a rassuré le gouvernement sur sa capacité à apporter les financements et achever le projet dans les délais.» Seulement, le projet prend de l’eau dès le mois de novembre 2020. Les travaux sur le site d’Olembe s’arrêtent. Sur la quinzaine d’entreprises prestataires, moins d’une poignée continuent à travailler sur le site.
Dans le même temps, le président directeur général de Magil est introuvable. Un mois après son départ du Cameroun, le principal interlocuteur du Cameroun dans la réalisation du chantier du complexe sportif d’Olembe limoge le directeur du projet, Mark Deband. L’ancien coordonnateur jouit d’une réputation de jusqu’au boutiste. «Il entendait mener les travaux à leur terme avant de réclamer les paiements. De même qu’il avait fixé l’objectif de livrer le chantier avant septembre 2021.» confient des prestataires.
Pour mieux comprendre l’affaire, il faut indiquer que l’entreprise Magil fait volte face vers la moitié de l’année 2020 et exige au gouvernement le paiement des factures qui lui sont dues. L’entreprise indique avoir engagé près de 10 millions de Dollars depuis la signature du contrat avec le gouvernement camerounais. Une revendication qui sonne strident dans les oreilles de l’autre partie contractuelle. «Cet investissement n’est que normal puisque l’Etat s’est engagé à contracter une dette pour l’achèvement des travaux.» De même que l’une de nos sources proches du dossier souligne que «l’Etat est en droit de s’attendre au maintien du rythme de travail qu’exige un chantier de cette envergure et rendu à ce stade.»
Contreparties
Pour sûr, explique une source proche de l’entreprise Magil, «les voyants sont passés au rouge depuis le mois de septembre 2020.» En clair, le projet connait une crise de trésorerie dès le mois de septembre 2020. Au sein du gouvernement, l’on s’en défend. Une source dans le sérail indique à ce sujet que «L’Etat a encore volé au secours de l’entreprise Magil à travers la récente signature du décret du président de la République, habilitant le ministre de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire a signé une convention de crédit avec certaines banques européennes pour financer le projet d’achèvement des travaux du complexe sportif d’Olembe.»
Le décret signé en mi février 2021 promet la mise à disposition de la contrepartie de l’Etat du Cameroun. Soit 17 milliards de Francs Cfa. La procédure de mise à disposition des fonds achoppe sur les exigences exprimées par le canadien Magil. Le maître d’œuvre du complexe sportif d’Olembe demande au gouvernement de loger l’enveloppe dans une banque domiciliée au Canada. Une requête qui ne rencontre pas l’assentiment du gouvernement camerounais. Un cadre du Minepat explique à ce sujet que «l’exigence de rapatrier les fonds mis à disposition par le gouvernement au Canada va poser un autre problème.» La même source souligne que les procédures de retour de ces fonds vers les prestataires pourraient prendre au moins trois mois. «Nous ne disposons pas de ce temps». Magil est-elle prête à consentir ? Difficile d’en savoir plus. En l’absence du président directeur général de l’entreprise, aucun cadre n’est disposé à répondre à la question exprimée par le reporter. «Cette affaire est traitée entre le Pdg et le ministre. Nous ne pouvons pas vous être utile», nous laisse-t-on entendre. Personne ne consentant par ailleurs à communiquer l’adresse du principal responsable de Magil. De même que l’on affirme ne pas pouvoir acheminer la demande d’informations formulée par Le Messager. Seule certitude, les employés de l’entreprise canadienne en charge de la construction du complexe sportif d’Olembe indiquent être en rupture de salaire depuis des mois.
Prestataires, suspicions et espoirs
Le mal est profond sur le chantier du complexe sportif d’Olembe. Outre les nombreux prestataires ayant arrêté les travaux sur le site, ceux qui résistent connaissent des fortunes difficiles. L’un des «prestataires en congé» fait remarquer que «le site d’Olembe avait atteint un pic de plus de mille personnes qui y travaillaient au mois d’avril 2020. Aujourd’hui il est difficile d’y retrouver 100 personnes malgré la résilience de quelques-uns de nos collègues.» De nombreux retraits liés à l’absence de paiement des factures dues aux entreprises prestataires.
Chez les prestataires, les craintes sont multiples. «D’abord celle de voir Magil encaisser l’argent qu’ils exigent et nous faire travailler à crédit. Or, nous sommes en rupture de financements et de matériels.» Chez les spécialistes des marchés publics, nombreux s’étonnent de l’option prise par l’entreprise canadienne. «La situation que connait le chantier du complexe sportif d’Olembe laisse penser que Magil entend percevoir toute l’enveloppe prévue par le projet pour réaliser les travaux. Or cette option est peu envisageable autant qu’elle est préjudiciable pour le projet.» De même que certains spécialistes du Bâtiment et des travaux publics soulignent l’éventualité de confier les travaux aux prestataires locaux.
Sous cape, certains prestataires indiquent l’option de Magil de changer la structure de certains ouvrages. Une option qui selon les mêmes sources viendrait dénaturer la physionomie des infrastructures. Au sein de l’entreprise, l’on évoque «des rumeurs visant à ternir l’image de notre entreprise.» Reste que le temps court. Selon des prestataires, le scénario le plus optimiste pourrait conduire à la livraison du complexe au mois de décembre 2021. «Il va néanmoins se poser le problème de la résistance des infrastructures. Faute de période de test.» Entre attentisme du gouvernement, rumeurs de corruptions, connivence et éventualité de remake d’un retrait, la chronique que connait le complexe sportif d’Olembe reste dans le registre de l’espoir.