Encore une petite touche de Diderot.
Un de mes texte favori du grand Denis.
Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât ; car l’indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. À présent, j’ai l’air d’un riche fainéant ; on ne sait qui je suis.
Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d’un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l’eau. J’étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l’esclave de la nouvelle.
Le dragon qui surveillait la toison d’or ne fut pas plus inquiet que moi. Le souci m’enveloppe.
Le vieillard passionné qui s’est livré, pieds et poings liés, aux caprices, à la merci d’une jeune folle, dit depuis le matin jusqu’au soir : Où est ma bonne, ma vieille gouvernante ? Quel démon m’obsédait le jour que je la chassai pour celle-ci ! Puis il pleure, il soupire.
Je ne pleure pas, je ne soupire pas ; mais à chaque instant je dis : Maudit soit celui qui inventa l’art de donner du prix à l’étoffe commune en la teignant en écarlate ! Maudit soit le précieux vêtement que je révère ! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande* ?
Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l’atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l’opulence a sa gêne. La suite ici.
*Calmande Étoffe de laine lustrée d’un côté. De l'italien calamandra (« étoffe de laine fine ») attesté au quatorzième siècle, apparenté à l'espagnol calamaco (« poncho coloré »).
______encore un peu : ___________________
Ce n’est pas tout, mon ami. Écoutez les ravages du luxe, les suites d’un luxe conséquent.
Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m’environnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques livres, quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie ; entre ces estampes trois ou quatre plâtres suspendus formaient avec ma vieille robe de chambre l’indigence la plus harmonieuse.
Tout est désaccordé. Plus d’ensemble, plus d’unité, plus de beauté.