Depuis, Emmanuel Macron a décidé de marquer d’une pierre blanche cet intérêt national et de demander aux Français de se prononcer par référendum pour que la Constitution soit modifiée en son article premier, incluant désormais « la préservation de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique ».
Une décision qui semble aller dans le sens de l’histoire et répondre à l’attente des Français mais une question se pose : pourquoi se tourner vers les Français pour l’écologie, cette chose si simple qui fait à ce point consensus, y compris au niveau international ?
La proposition de consultation référendaire sur le climat émane de la convention citoyenne, composée de 150 citoyens tirés au sort. Si donner le pouvoir au peuple dans sa diversité (sexes, âges, territoires, diplômes, catégories socio-professionnelle…) est une bonne chose, une série de questions se pose.
Qui sont ces 150 citoyens sélectionnés ? Pourquoi devrait-on leur faire confiance jusqu’à modifier le texte le plus fondamental du droit français ? Que sait-on de leurs compétences ? Que sait-on de leur engagement préalable et de long terme en faveur de l’environnement ? Et, plus grave encore, que sait-on de leur légitimité vis-à-vis du peuple ?
C’est là que le bât blesse le plus profondément, car leur légitimité repose exclusivement sur ce que l’on nomme « le fait du Prince ». On se souvient par exemple du ridicule quand Daniel Cohn-Bendit a été choisi pour participer à la convention citoyenne. « Tiré au sort » l'ancien député européen a finalement décliné la proposition. Qui aurait pu croire qu’un des soutiens de la première heure d’Emmanuel Macron aurait la chance d’être tiré au sort pour participer à la convention citoyenne sur le climat ?
Emmanuel Macron croit-il qu’il bénéficiera d’un dialogue démocratique direct avec le peuple par voie référendaire ? Qu’il s’agisse d’immigration, de laïcité, de terrorisme, d’islamisme - autant de sujets où l’avis des Français aurait été déterminant pour conférer du poids à une loi - Emmanuel Macron n’a eu de cesse de différer, de reculer, de tergiverser.
A aucun moment il n’a envisagé de consulter le peuple au sujet des grandes orientations nécessaires au pays, et ce malgré l’accumulation des crises, des drames, du chaos social. Les lois ont été produites dans l’entre soi élyséen, sur un mode « en même temps ». Dès lors, comment ce référendum pourra-t-il être perçu autrement que comme un artifice permettant au Président de ne pas avoir à obtenir la majorité des 3/5 des deux chambres réunies en Congrès ?
Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l'Université de Lille à réagi sur France Info sur ce projet de référendum
Question : Le Parlement doit valider ce référendum, ce n’est donc pas gagné ?
Jean-Philippe Derosier : C'est même très loin d'être gagné. La voie pour faire ce référendum, c'est la voie de l'article 89 de la Constitution, parce que c'est un référendum constitutionnel. Et ce référendum constitutionnel suppose au préalable un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur un texte identique, avant que le référendum puisse être convoqué et que le peuple se prononce. Or, on est dans un contexte où le Sénat, en particulier, n'est pas véritablement disposé à faire un cadeau au chef de l’Etat. On entre dans un contexte de campagne d'abord régionale, départementale, mais surtout campagne présidentielle. On sait que le Sénat est politiquement opposé au chef de l’Etat. S'il s'accordait avec l'Assemblée nationale pour faire cet accord sur le texte, puis ce référendum, ce serait soutenir Emmanuel Macron. Je suis à peu près certain qu'il va trouver une échappatoire pour dire que ce n'est pas le bon moment, qu'il y a d'autres préoccupations à avoir, notamment en termes de relance économique. D'autant plus que ce que le chef de l'Etat propose d'inscrire dans la Constitution existe déjà avec la Charte de l'environnement qui a été intégrée, il y a bientôt quinze ans.
Q. : Est-ce que c’est un pari politique, une façon de mettre la pression sur les élus ?
JPD : C'est un pari politique. C’est même une manœuvre politique et c'est là où il faut être vigilant parce que la Constitution ne peut pas être le jeu de manœuvres politiques. On peut s'en servir, se servir de la loi pour faire ce type de manœuvre, pour mettre en œuvre la politique que l'on peut conduire. Mais la Constitution, c'est la norme fondamentale commune sur laquelle, justement, il faut s’accorder au-delà de clivages partisans. C'est la raison pour laquelle il y a cette procédure qui impose l'accord au Parlement. Alors que là Emmanuel Macron veut l'utiliser pour faire cette manœuvre, pour faire cette pression et mettre le Sénat face à ses responsabilités. Il existe déjà une charte de l'environnement.
Q. : Qu’est-ce que ça va changer concrètement, cette nouvelle mention environnementale dans l'article 1er de la Constitution ?
JPD : Ce sera une mesure symbolique, on est encore dans la manoeuvre politique. L'article 1er, comme son nom l’indique, c'est le premier article de la Constitution. Il contient les premiers mots qui vont marquer la Constitution. C’est un symbole fort, c'est incontestable, mais ça reste un symbole. La lutte contre le réchauffement climatique, la biodiversité ne figurent pas en tant que tel dans la Charte de l'environnement. Cependant, dedans, on y retrouve deux articles, l’un concernant le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, et le devoir de prendre part à la protection et à l'amélioration de l’environnement. Selon une décision du Conseil Constitutionnel rendue jeudi 10 décembre, le législateur ne peut aller contre ces deux articles et ne peut pas prendre des mesures qui ne participeraient pas à cette amélioration de l'environnement. Ce qui veut dire qu'en réalité, la protection et l'amélioration de l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique, figurent déjà dans la Constitution.
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