"Danube", de Claudio Magris (1986)

Le Danube et l'abbaye de Melk (Autriche)

" Danube est un grand livre" disait Mathias Énard dans . De sa source en Forêt Noire jusqu'à son delta à la frontière de ce qui était encore l'URSS, Claudio Magris, avec quelques amis, a parcouru les 2800 km de ce fleuve majeur, cœur de la Mitteleuropa.

En germaniste passionné, il est allé sur les traces d'un monde disparu, celui des écrivains entre le XVII ^ème et le XX ^ème siècle, celui de l'empire si compliqué des Habsburg, fracassé par la guerre. Époustouflant d'érudition, ce livre regorge de références littéraires, d'anecdotes historiques, de personnages tragiques ou truculents... Plus que les paysages (parfois sordides, souvent sublimes) ou les ruines, C. Magris semble être allé à la rencontre des hommes, des nations : et la Mitteleuropa était encore, à ce moment, une extraordinaire mosaïque de peuples et de cultures, intimement mêlés les uns aux autres : Slovaques en Hongrie, Magyars en Roumanie, Turcs en Bulgarie (mais non ! il n'y a pas de Turcs en Bulgarie, seulement des Bulgares islamisés... dixit l'inénarrable jeune guide bulgare !), Allemands partout...

Mais, lorsqu'on lit ce livre aujourd'hui, en 2021, ce monde a doublement disparu. L'éclatement de l'empire communiste, les guerres issues des crispations nationalistes ont bouleversé encore le paysage, et les descriptions de Magris ont pris l'étrange couleur des ruines. Tchèques et Slovaques, qui ne s'aimaient pas, ont acté leur divorce sans trop de drame ; la Yougoslavie, elle, s'est disloquée dans le sang et les vagues de "nettoyage ethnique", et le vivre ensemble a disparu en une poussière de nations "pures", d'où les minorités, qui en faisaient la richesse culturelle, ont peu à peu disparu ou se terrent. Que reste-t-il du monde décrit par Danube ?

Il faudrait refaire le voyage, de l'Allemagne à la frontière de la Moldavie, en longeant l'Autriche, la Hongrie, la Croatie, la Serbie, la Bulgarie et la Roumanie...