Banale loi de séries ou signes inquiétants de dysfonctionnements, les incidents survenus en Drôme-Ardèche laissent perplexes. A juste titre, depuis la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, les français sont en droit de douter du discours, toujours rassurant des autorités. Qui croire et surtout comment savoir ? Les faits pourtant parlent d’eux même. Le parc nucléaire français a vieillit mais le démantèlement des premières centrales a été sans cesse repoussé pour des raisons économiques. Dans le même temps, la génération des hommes qui a conçu et réalisé ces centrales, celle des pionniers, n’est plus en activité.
Symbole de la schizophrénie de notre temps, alors qu’Anne Lauvergeon, PDG d’Areva, a minimisé les incidents en évoquant « que c’était le propre d’une société mûre que d’être capable de transparence en toute occasion », Jean-Louis Borloo, a sans langue de bois, pointé une dérive. Le ministre de l’écologie a notamment déclaré « apparemment, tant qu’on est au cœur du sujet [la centrale nucléaire elle-même], on a l’impression qu’il y a une très, très grande rigueur. Mais quand on est sur le traitement des effluents, de l’eau, etc., on a le sentiment qu’il y en a moins, que la vigilance baisse. »
Le poids du lobby nucléaire en France, civil et militaire n’est plus à démontrer. L’explosion du coût du pétrole arrive à un moment propice pour des constructeurs et exploitants qui se trouvent aujourd’hui dans la phase la plus délicate : gérer le vieillissement des centrales et l’accumulation des déchets. Jusqu’à présent le rêve nucléaire a été vendu sur un postulat erroné, faire croire que l’électricité nucléaire est la plus économique. Une approche volontairement non globale du prix qui omet le coût du démantèlement des centrales en fin de vie et du stockage des déchets pendant des milliers d’années.
Les intérêts financiers en jeu sont colossaux. Il est évident que la France ne peut faire la promotion de son « savoir-faire » nucléaire à l’occasion de chaque voyage présidentiel si, sur son propre territoire, elle fait la fine bouche. Mué en VRP du nucléaire hexagonal Nicolas Sarkozy semble donner la priorité à l’économie plutôt qu’à l’environnement. Les esprits chagrins voient dans ce choix la conséquence de sa proximité avec les grands groupes industriels du secteur (Bouygues et Alsthom).
Plutôt que constituer l’occasion sinon d’une remise en cause, au moins d’un diagnostic objectif, le vieillissement du parc nucléaire français est appréhendé par l’industrie nucléaire comme une juteuse opportunité pour développer et imposer la nouvelle technologie des EPR. Début juillet Nicolas Sarkozy annonçait un projet de construction en France d’une deuxième centrale nucléaire EPR « pour faire face à la crise énergétique ».A partir de 2015, une série de sept ou huit EPR pourrait fleurir dans l’Hexagone.
Les délais sont courts car le temps est compté. La relève du parc français est devenue une impérieuse nécessité. En 2020, 14 réacteurs français auront 40 ans. Ce sera également le cas de 34 autres en 2025. Si pour un humain cet âge est celui de la maturité, on ne sait pas ce qu’il en est pour les matériaux exposés aux effets de la radioactivité. Du béton à « la tuyauterie », les constituants ne présentent plus de garanties en terme de sécurité.
Le problème du nucléaire c’est que la facture de la sécurité et donc du coût d’exploitation est très élevée. En 2003, EDF a ainsi annoncé l’allongement de trente à quarante ans de la durée de vie de ses centrales nucléaires même si concretement, c’est l’Autorité de Sûreté Nucléaire qui autorise ou non EDF à prolonger leur vie de dix ans, lors de ses visites décennales
Les cinq anomalies recensées en à peine plus de deux semaines (deux à Tricastin, une à Romans-sur-Isère, une à Saint-Alban (Isère) et une nouvelle à la centrale de Cruas en Ardèche, jeudi) attestent de la fragilité d’un système qui pour des raisons financières réduit au maximum les délais d’intervention et a de plus en plus recours à la sous-traitance pour assurer la maintenance dans les centrales.
S’appuyant sur deux lois adoptées en 2006, l’une sur la gestion des déchets, l’autre sur la sécurité et la transparence, Jean-Louis Borloo appelle aujourd’hui le Haut Comité sur la transparence à « remettre à plat l’ensemble du système de procédures, évaluer l’ensemble des nappes phréatiques sous les installations nucléaires, faire le point sur les déchets nucléaires anciens ».
Le ministre a affirmé que tous les acteurs seront entendus d’ici à l’automne. La précipitation serait cependant une erreur. Sauf à craindre une vulgarisation des éléments du dossier. Les Français ont le droit de savoir (un Grenelle du nucléaire ?) et ne veulent plus d’une politique de l’autruche dans laquelle ils ont été enfermés. Sans sombrer dans un radicalisme toujours stérile, il nous faut apprendre à vivre avec le diable à notre table.
Il est temps de briser le tabou du nucléaire largement assuré par un chantage à l’emploi. Internet accusée de tous les maux peut constituer en ce sens, une exceptionnelle plateforme d’échanges de savoir et d’expériences personnelles. Scientifiques, travailleurs ou retraités du nucléaire, simples témoins, exprimez-vous !