CINEMA PARADISO**************Jules & Jim de François Truffaut

Publié le 05 mars 2021 par Hunterjones

Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: le cinoche. 

J'ai étudié, joué, bossé dans le monde du cinéma, j'en suis sorti, mais le cinéma est indélogeable de moi.


Je vous parle d'un film qui m'a séduit par sa trame narrative, son audace, sa cinématographie, ses manières, ses thèmes, ses acteurs, sa réalisations, son montage, sa musique, souvent tout ça en même temps. Je vous parle d'un film dont j'ai aimé pas mal tous les choix. 

À défaut de pouvoir en voir pas mal par les temps qui stagnent, il reste encore important de se divertir par la cinéma. 


JULES & JIM
de FRANÇOIS TRUFFAUT.

François Truffaut a présenté un chef d'oeuvre de premier film qui a séduit tout le monde, puis, un second film où il visait les cinéphiles, pari gagné, mais les critiques l'ont trouvé trop commun. L'auteur Henri-Pierre Roché n'a écrit que deux romans. Il convainc François d'adapter l'un des deux. 

L'histoire d'un amour à trois entre Jules, Jim & Catherine était inspirée des relations de dandy de Roché, et des amis Franz Hessel (un écrivain autrichien) et Helen Grund (une berlinoise, fille de banquier) autour de 1917. Le film place l'action entre 1912 et 1929. Sera tourné en 1961. 


Jules & Jim sont deux dandys qui aiment partager leurs idées, et passe tant de temps ensemble, que des rumeurs naissent sur leur compte. Ils ont tous deux un désintérêt pour l'argent. Ça ne peut que me séduire. Catherine fait la connaissance des deux hommes tôt dans le film et Jules indique tout de suite à Jim "Pas celle-là, Jim", conscient qu'ils tombent tous deux sous son charme. Jeanne Moreau incarne Catherine,  un tempérament de Femme formidable. Libre, fou. Deux Femmes offrent ce profil dans ce film. La très jolie Marie Dubois, entrevue pendant deux séquences et Moreau. Dès la première rencontre avec les deux hommes, elle se dessine une moustache et incarne un homme. La séquence de la course, tournée à Charleton-le-Pont, sur la passerelle de Valmy, devient mémorable à jamais.  
Dès cette première rencontre à trois, autre temps, autre moeurs, Jim prend possession des lieux comme les hommes le faisaient à l'époque, certains le font encore, en conquérant des lieux, alors qu'il met les pieds pour la toute première fois chez Catherine. 

François utilise quelques procédés fort intéressant pour l'époque. L'image qui fait pause à certains moments. Il utilise aussi des images d'archives et ça passe très bien. On pourrait croire qu'elles ont été tournées pour son films. La présence d'un narrateur en voix off. Un narrateur absent. Puis une narration en voix off qui fait écho à l'épistolaire, de la part de Jim, de Jules et de Catherine elle-même. La photographie de Raoul Coutard est délicieuse. Moreau crève l'écran et est symbole d'intelligence, de folie, et de totale liberté. Marie Dubois, extrêmement jolie, semble plus à la merci des mâles. Le personnage de Catherine se les choisit. Moreau en menait large en 1962. Et on l'adorait pour ça. Quand la production, une minuscule équipe de 15, est venue à manquer d'argent, elle a pigé dans sa propre poche pour investir dans ce projet auquel elle croyait. Elle y brille. Le film a beau s'appeler Jules & Jim, c'est Catherine qui en est l'étoile. 


Quand sa doublure se présente parfaitement saoûle pour se tirer à l'eau toute habillée, la nuit, on juge que c'est trop dangereux de la laisser faire et on pense ne pas tourner la scène. Jeanne se propose alors pour le faire. Elle sera si malade par la suite qu'elle devra prendre quelques jours de congé. Cette plongée spontanée montre une belle folie chez le personnage, pas 100% étranger au tempérament naturel de Jeanne. "Ou bien je rêve, ou bien il pleut" dit Jim. "Peut-être les deux" dit Catherine, avec insolence. 
C'est amusant de voir Jules et Jim s'amuser dans l'eau comme deux enfants. Jeanne faire des  Jeanne & Catherine, se chamailler sur un lit comme deux enfants. Les trois courir dans les champs.  Ensemble, adultes, ils s'amusent comme des enfants. S'amusent de riens, trouvés dans les bois. 

La guerre les sépare un temps, et même les confronte. Jules a peur de tuer Jim et vice-versa. L'après-guerre changera tout le monde. Surtout Catherine, moins cigale et plus fourmi. Jules la trouve pour sa part Napoléon. Elle se fait joueuse autour de Jim. Jules et Jim, Jules et Catherine. Catherien et Jules.  


Une chanson sera mémorable pour les baby boomers, Le Tourbillon, une composition de celui qui la joue à l'écran, Serge Rezvani, rebaptisé comme artiste sous le nom de Cyrus Bassiak. Chanson écrite justement pour Jeanne Moreau, quelques années avant, et son compagnon d'alors, Jean-Louis Richard. Celui-ci fait même une apparition dans la scène du bar. Une scène qui pêche d'ailleurs par moeurs misogyne. Un client commente Marie Dubois à voix haute, à ses côtés en disant qu'il aimerait bien se la faire et "wow! pas mal!" comme si on parlait d'une voiture. La scène entière se veut comique, mais elle est plutôt méprisante pour la Femme de nos jours. 
Le film est mis en musique (outre la chanson de Bassiak) par George Delerue, tout juste avant son chef d'oeuvre avec l'ami Jean-Luc. L'écriture est empreinte d'une certaine poésie avec des phrases comme "La terre promise recula d'un bond" ou "Ce papier est ta peau et cet encre est mon sang".  Volontairement ou non, quand les sentiments deviennent brouillons, on tombe de nuit et dans le brouillard. 
Une autre phrase qui a fait beaucoup d'écho pour moi sera "L'avenir est au curieux de profession". J'aurais donc un pas pire avenir? C'est vrai, j'ai deux joyaux d'Amérique de 17 et 21 ans. 

Truffaut aura tant aimé adapter l'univers de Roché, qu'il adaptera aussi son autre roman, 10 ans plus tard.

Il y a du style dans tous les plans de ce joli film d'amours impossibles.