Christophe Dominici "Bleu à l'âme"

Par Gjouin @GilbertJouin


Editions Le Cherche Midi

362 pages

Cahier photos

18,90 €

Sortie le 25 février 2021

La biographie de Christophe Dominici, parue en 2007, vient d’être rééditée suite à son décès survenu le 24 novembre 2020… La lecture de cet ouvrage nous permet d’apporter quelques réponses quant aux circonstances dramatiques de sa disparition, qu’elle ait été volontaire ou accidentelle.

Christophe Dominici n’a jamais été adulte. Il est resté toute sa vie un ado de 14 ans meurtri à jamais par le décès tragique de sa sœur Pascale, disparue à l’âge de 24 ans dans un accident de la route.D’ailleurs, il le reconnaît lui-même avec une franchise désarmante : « Je suis un homme-enfant » (page 115)… Et, tout au long du livre, on comprend combien il était resté à jamais dévasté par la mort de Pascale : idées autodestructrices (page 41), crises d’angoisse (page 41), manque de confiance en lui (page 64), inquiétude permanente (page 96), autant de problèmes psychiques qui l’amènent à décréter page 175 : « Je ne suis pas un homme heureux ».

En fait, tout est synthétisé en une dizaine de lignes page 222 : « Je suis un jusqu’au-boutiste. Quand je fais des erreurs, j’ai besoin d’aller droit dans le mur… J’ai besoin d’être comme un funambule, sur le fil du rasoir. J’ai besoin de frôler les ravins, de jouer au poker, pour sentir monter le danger, la peur de tout perdre en une seule fraction de seconde, et l’adrénaline circuler dans mes veines. J’ai besoin de vivre sur un mode dangereux… pour trouver mon équilibre, même si je ne me considère pas comme une tête brûlée ». Tout est dit !

Pourtant Christophe Dominici, heureusement, n’était pas que ce client idéal pour psy. Il pouvait aussi être drôle. C’était un sacré chambreur doublé d’un meneur d’hommes, d’un gagneur. Il n’aurait pas réussi sa prestigieuse carrière de sportif de haut niveau sans ce tempérament contrasté. Chez lui, le yin et le yang se nourrissaient l’un l’autre, se tiraient la bourre à savoir lequel prendrait le dessus. Hélas, c’est le yin qui a emporté ce bras de fer qui aura duré 34 ans ; de ses fatidiques 14 ans à ses funestes 48 ans.

Continuellement à la recherche de la « performance absolue », il était aussi exigeant, sinon plus, avec lui-même qu’avec les autres… Afin de contrebalancer son manque de confiance en lui, il était obsédé par le désir de plaire : « Séduire est chez moi une seconde nature » (page 112). Charmeur, « Homme à femmes » proclamé, certes, mais aussi « terriblement macho » (page 104). On peut affirmer qu’il s’est systématiquement ingénié à détruire son magnifique premier amour. Lucide et autocritique, il raconte sans concession ses excès, ses abus, ses injustices. Il a tout fait pour être désaimé alors que son cœur battait à contre sens.


 A plusieurs reprises, il déclare que « tout est dans la tête ». Quand ça va psychiquement, tout va bien, il renverse des montagnes, il est vaillant, généreux, entreprenant, indestructible. Quand ça ne va pas, il sombre dans la dépression. C’est pourquoi, il avait si souvent recours à des médecins, des psy, à un kinésiologue. Mais cela n’aura pas suffi. Une ultime trahison va avoir raison de lui, anéantissant tous ses espoirs de rebond dans le monde du rugby. Il n’a pas eu la force d’un dernier raffut. Le moulin du club de Béziers a terrassé Dom(inici) Quichotte…

Quand on peut s’enorgueillir d’un palmarès aussi prestigieux que le sien (67 capes, deux Grands Chelems, cinq titres de champion de France…) la gestion de l’après-rugby n’est pas évidente : « Post coïtum animal triste ». Sans l’adrénaline des matchs et des enjeux, sans la fièvre de la compétition, sans les odeurs de vestiaires, sans l’esprit d’équipe, sans la gaillarde camaraderie inhérente à ce noble sport de combat, sans l’amour du public, si l'on n'a pas de projets forts et immédiats, on a tôt fait de se laisser envahir par le spleen.

Bleu à l’âme contient aussi énormément de pages consacrées au rugby. On peut y suivre année après année les paliers d’une incomparable carrière. Christophe était un guerrier au grand cœur. Il était aussi irritant qu’attachant. Il suffit de lire les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé et aimé, Bernard Laporte, Fabien Galthié, Max Gazzini et Yann Delaigue, pour comprendre combien il peut manquer aujourd’hui au monde si fraternel et solidaire de l’Ovalie.

Et puis il y a la lettre. La lettre si émouvante que lui adresse son père, dans laquelle une immense douleur se le dispute à une profonde fierté.