Il ne se passe pas une semaine sans que le Covid-19 ne donne des opportunités de réflexion dans le champ du storytelling. A dire vrai, c'est plus de gestion du Covid, que du coronavirus en lui-même dont il s'agit : aujourd'hui, le Covid, un storytelling de l'abolition.
Il y a peu, j'écrivais un article sur la connexion entre la gestion du virus et la thématique de l'approximation. L'approximation non contrôlée, débridée, décomplexée étant devenue une sorte de norme. J'aimerais bien écrire sur d'autres sujets, mais ces sujets storytelling - Covid me sautent tellement à la figure ! Moi, j'étudie cela au niveau modeste d'un blog. Mais je suis sûr que dans les années qui viennent de nombreux travaux de recherche universitaire dans les sciences sociales vont se porter sur la façon dont tout cela a été managé. Va falloir muscler vos oreilles, messieurs et mesdames les gestionnaires de la situation, et être endurants...
Storytelling de l'abolition, donc, pour cet article. Mais de quoi s'agit-il donc ? Plutôt que de donner une explication théorique, je vais l'expliquer à travers une série d'exemples concrètement précis et précisément concrets.
L'abolition du temps
C'est peut-être ce qui frappe le plus. Le temps n'a plus la même durée qu'avant... quand on entend les experts Covid s'exprimer dans les médias. Qu'ils soient experts politiques ou médicaux, même si les experts remportent sans doute la palme.
Ainsi, un reconfinement court dure, dans leur bouche "un à deux mois". On appréciera au passage le très marseillais "du simple au double". C'est un peu comme si je vous disais que je vous vend ma voiture à un prix intéressant, 25 000 ou 50 000 €, je n'ai pas encore décidé (oui, c'est une belle voiture).
Un mois (ou deux), ce serait donc court. Si on a commis un crime, être enfermé un mois ou deux, oui c'est court. Là, en dépit de ce que peuvent penser ceux qui prononcent cette sentence à notre égard, il n'y a rien à comparer. Mais on imagine bien que, dans leur tête, si un à deux mois est un confinement court, si cela ne suffit pas, bah, un confinement moyen de trois à quatre mois, cela peut bien passer, non ? Ce n'est pas long puisque c'est moyen.
Très étrange...
L'abolition de la mesure
Peu de gens l'ont relevé, mais moi ça m'avait vraiment frappé. Je me souviens qu'en fin d'année 2020, des voix se sont élevées. Il s'agissait encore d'experts du monde médical. Je n'ai rien contre eux, mais comme les médias se font un malin plaisir d'en convoquer constamment toute une brochette... Forcément, à un moment, certains d'entre eux disent des choses... qu'on préfèrerait ne pas entendre tellement c'est trop...
Alors donc, qu'est-ce qui a été dit fin 2020 ? Et bien, on a entendu : "il faut annuler Noël !"
Euh, vous avez perdu toute mesure, les gars, là ! Vous placez Noël au niveau d'un rendez-vous chez le médecin que l'on peut annuler, reporter. C'est quand même une autre dimension. Abolition de la mesure ici.
Autre illustration de l'abolition de la mesure : les superlatifs utilisés de manière répétitive. "Cataclysme", "incontournable"... Comme si qui que soit avait des certitudes à l'égard de ce qui va se produire ne serait-ce que le lendemain avec ce virus.
Pareillement encore : les certitudes assénées, genre "6 semaines de reconfinement et puis c'est bon". Quelle madame Irma peut en toute honnêteté faire cette promesse ? On a là aussi aboli toute mesure.
L'abolition de la responsabilité
Victimes, pas responsables. Quand on a été les derniers à commander les vaccins parce qu'on a négocié pour obtenir les meilleurs prix : y'a-t-il une responsabilité lorsque les livraisons se font attendre ? Parce que, quand on a commandé en premier, lorsque le produit est rare, on est servi en premier. Logique. Parce que, quand, comme l'Europe, on a donné trois fois moins d'argent aux laboratoires que le Royaume-Uni et six fois moins que les Etats-Unis pour mener leurs recherches sur les vaccins Covid, on n'est pas prioritaire. Logique encore.
Mais non : d'après le discours officiel français, ce sont "les laboratoires qui nous font quelques misères" au niveau des livraisons.
Pas un mot sur l'erreur fatale de ne pas avoir cru aux vaccins à ARN messager, ni sur celle d'avoir tout misé sur Sanofi, en dédaignant les projets d'autres labos, plus petits que le géant français il est vrai. Vieux défaut français : seuls les gros peuvent avoir des idées valables, n'est-ce pas ?
On pourrait donner plein d'autres exemples, comme ça. Un seul suffira. Au passage, on peut souligner la désinvolture du "quelques misères". Ce n'est pas la première fois que des paroles très désinvoltes sont prononcées depuis le début de cette pandémie, de manière toujours très déplacée. J'y reviendrai.
L'abolition des masques
Tombent les masques (pas les chirurgicaux, FFP2 et autres, hein, les masques qui déguisent) ! Quand tout va bien ou quand uniquement de petits problèmes surviennent, la façade tient bon. C'est quand les choses vont mal que les masques tombent. Le décor, la façade s'effondre et laisse apparaître au grand jour les rides, les crevasses, les failles.
C'est le cas pour la machine administrative française. Le fameux mille-feuille, la fameuse bureaucratie à la française. La tonne d'administrations qui donnent toutes leur avis sur ce qu'il faudrait ou ne faudrait pas faire. Le plus drôle, enfin façon de parler, se produit quand elles se contredisent (un peu, beaucoup...). Tiens, récemment : une administration française recommandait l'abandon des masques artisanaux, pour être contredite par une autre.
Autre exemple : personnel, cette fois. Je devais passer en transit par la Suisse pour revenir en France. Je voulais savoir si un test antigénique était valable. J'appelle donc les Douanes. On me dit que le texte sur les tests éligibles a été écrit avant que le test antigénique n'existe. Ah, et personne pour modifier ce texte... On me dit aussi qu'on n'est pas sûr de la réponse, aux Douanes, et qu'il me faut appeler la Police des frontières. Ah, une deuxième administration... Dont le numéro, trouvé pourtant sur un site officiel, débouche sur un message "numéro non attribué"...
Quelles explications ?
Je vois le déni. Je vois la lassitude. Je vois un lâcher-prise décomplexé. Quand on peut par exemple dire "les incohérences sont possibles, je peux même commettre des bourdes", comme le fait le porte-parole du gouvernement.
Ce sont des possibilités. Je n'ai, en des temps d'incertitudes, que peu d'assurances à pouvoir donner sur le plan explicatif.
Rien de très réjouissant. Rien de très respectable, en tout cas.