Toujours continué, le geste de Sacré
L’écriture de James Sacré s’y déploie au fil de journées, passant par l’Italie, le Maroc et par les « gestes » de sa poétique : la simplicité apparente est un travail sur l’évidence des sensations, la manière de les rendre présentes dans l’écriture. Ainsi, passant à Strasbourg en janvier 2009, Sacré note son trajet pour dire à son père « Si peut-être passant vite un matin par Strasbourg j’ai suivi tes pas ? » (p.69). Une interrogation sur le vivant – agrandie par l’expérience, les paysages traversés, les deuils – se donne à lire, permettant au poète d’affiner avec son père le rapport au monde et le rapport aux mots : « Et le moindre de tes gestes s’il m’accompagne soudain / Dans la continuité tellement banale de ma vie, / Est aussi cela la beauté vivante et fragile / Du souvenir qu’on a du monde. » (p.129).
La Vendée natale confirme le silence de ce portrait du père qui reste en devenir. En Italie, devant des fermes des Pouilles, Sacré affirme : « je n’ai pas connu toutes celles / Où tu as vécu, ou travaillé pour des patrons / Avant d’avoir toi aussi un commis pour t’aider / À cause que j’allais m’instruire ailleurs, et pourtant / Pas si loin du village de Cougou. » (p.215) La vie du père comme toutes les vies possède sa part d’inconnu. Et cet inconnu pousse le poète, avec humour et sensibilité, jusqu’à l’extrémité des mots qu’il dit.
Il peut alors écrire « Je ne sais plus quoi écrire » (p.215) ou s’interroger « Portrait de qui en travers du temps ? » (p.216). Ou encore affirmer : « La mort et le vivant continuent / On ne saura rien de plus. » (p.230)
Alexis Pelletier
James Sacré, Quel tissu se déchire, Tarabuste Éditeur, collection Reprises, 2020, 240 pages, 15€
James Sacré, Raphaël Segura, Les arbres sont aussi du silence, Voix d’encre, 2021, 84 pages
Extrait de Quel tissu se déchire ? (pages 172-173)
D’autres sont morts
Du temps que tu vivais
Ni toi ni moi n’y pensions trop
La vie nous portait
Où l’idée de la mort
S’effaçait lentement
Dans ce qu’était le vivant.
D’autres continuent de mourir
Après que tu n’es plus rien
Et sans doute pas
Ce que je crois vivant
En ces mots de maintenant :
Je ne sais pas
Qui me les donne.
Un poème pour toi
Se perd en bavardage.
(4 août 2015 ; 27 juin 2017)
Poèmes de ces derniers jours qui me sont venus
À cause d’objets divers sans plus d’usage,
Petits ustensiles de cuisine en métal émaillé…
Un premier poème puis d’autres
Ça pourrait continuer ; suffirait
Que je les regarde souvent
Et m’en aille dans ces mots qu’ils me donnent.
Si dans la longue répétition
De plus ou moins le même poème repris
Autour de ta figure en allée, mon père,
Je ne fais pas de ton visage ou de l’allure de ton corps,
De tes colères, du secret
Que furent tes sentiments
La même chose qu’avec ces objets de tôle émaillée :
Rassembler des mots pris
À la matière du monde et sans vraiment
M’inquiéter de comment
Mon souvenir de toi n’est rien plus
Qu’un autre matériau pour écrire ?
(10 août 2015 ; 27 juin 2017)
Extrait de Les arbres aussi sont du silence (pages 51)
Une souche d’arbre mort si déjà
Ça n’est pas la réduction d’un chêne ou d’un châtaignier
À comme des signes de bois prenant forme,
Si tu le regardes,
Autant dans sa matière pourrissante
Que dans l’abstraction qui s’éveille en ta pensée
D’une ramure et d’un feuillage qui ne connaissent plus
Que le vent de tes souvenirs ?
Le concret du présent se nourrit
De l’épure, réduite à rien, du passé.
Une souche qui n’est plus que traits d’encre
Et le bruit des mots qu’on fagote
Dit bien qu’écrire et dessiner
Sont des traces d’une abstraction continuée.