Kent State

Par Belzaran

Titre : Kent State
Scénariste : Derf Backderf
Dessinateur : Derf Backderf
Parution : Septembre 2020


Derf Backderf s’est fait connaître par « Mon ami Dahmer », une autobiographie où il parlait de son amitié avec un futur serial killer. Cela lui avait permis de se faire publier en France et de sortir « Punk rock et mobiles homes », alors inédit dans nos contrées. L’auteur américain continue son travail sur son état d’origine, l’Ohio, avec la tragédie de Kent State, dont le livre porte le nom. Sous-titré « Quatre morts dans l’Ohio », c’est un ouvrage documentaire sur une tragédie arrivée en mai 1970.

Un devoir de mémoire très documenté

J’ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce récit. En effet, cette tragédie des années 1970, très américaine et ancrée dans la guerre du Vietnam, m’était complètement inconnu. Or, l’auteur semble mener son récit comme si l’on en connaissait déjà l’issue. En effet, il se replace quelques jours avant pour expliquer la montée de tension jusqu’à drame. De plus, l’auteur hésitant entre un récit purement documentaire, avec du recul (comme pour décrire les différents organes à l’œuvre), ou un récit plus proche des personnes, on reste un peu de côté. Ainsi, la partie documentaire est peu digeste, bien qu’intéressante. Le fait de mettre en gras certains mots dans le texte et les dialogues, techniques très américaine, ajoute une lourdeur supplémentaire. La partie « personnages » manque elle d’affect, la faute au nombre de personnages peu développés. Au final, la description du quotidien des personnages sert avant tout à montrer qu’ils n’avaient rien de terroristes ou de gens violents et dangereux.

Malgré tout, « Kent State » se distingue par une recherche documentaire (témoignages et archives) impressionnante. On sent que Derf Backderf y a passé du temps… Il présente ainsi de nombreux points de vue, émettant des hypothèses mais sans apporter de réponse définitive. Cela reste clairement un pamphlet contre la gestion des manifestations par le pouvoir en place de l’époque. Leur incompétence est régulièrement mise en lumière… Ainsi, si la précision de tout ce qui est apporté impressionne, le pavé est assez lourd à lire et il vous faudra vous y prendre à plusieurs fois pour en voir la fin !

On sent l’aspect « devoir de mémoire » dans ce livre. Cette tragédie qui endeuilla l’Ohio doit avoir marqué les gens de l’état, mais aussi du pays étant donné les manifestations partout qui en ont découlé. En cela, le travail de Derf Backderf est proche du travail d’un journaliste. Si la partie bande-dessinée est moins passionnante, force est de constater que l’on ressent, au fur et à mesure, la tension monter et qu’une forme de suspense s’instaure, surtout pour le lecteur qui n’en connaît pas le dénouement.

Le style graphique de Derf Backderf, très reconnaissable et estampillé « BD indépendant américaine », ne m’a jamais pleinement convaincu. Il fonctionnait plutôt bien avec ses récits autobiographiques. Dans ce travail documentaire, il montre parfois quelques limites. Je trouve que les visages se ressemblent, les personnages sont un peu rigides et donnent des difficultés à pleinement s’attacher à eux.

« Kent State » est un livre intéressant de par son côté documentaire très abouti. Mais hésitant entre un récit proche de personnages et une description clinique des faits, le livre se retrouve le cul entre deux chaises et peine à vraiment convaincre formellement. Un devoir de mémoire, un travail documentaire impressionnant, mais plus à louer pour son côté journalistique que pour son côté bande-dessinée.