Conseil de Fénelon à une damoiselle dissipée :
Vivez en paix, Mademoiselle, sans penser qu’il y ait un avenir. Peut-être n’y en aura-t-il point pour vous. Le présent même n’est pas à vous, et il ne faut que s’en servir suivant les intentions de Dieu à qui seul il appartient. Faites les biens extérieurs que vous êtes en train de faire, puisque vous en avez l’attrait et la facilité. Conservez votre règlement, pour éviter la dissipation et les suites de votre excessive vivacité. Surtout soyez fidèle au moment présent, qui vous attirera toutes les grâces nécessaires.
Ce n’est pas assez de se détacher; il faut s’apetisser. En se détachant, on ne renonce qu’aux choses extérieures ; en s’apetissant, on renonce à soi. S’apetisser, c’est renoncer à toute hauteur aperçue. Il y a la hauteur de la sagesse et de la vertu, qui est encore plus dangereuse que la hauteur des fortunes mondaines, parce qu’elle est moins grossière. Il faut être petit en tout, et compter qu’on n’a rien à soi, sa vertu et son courage moins que tout le reste. Vous vous appuyez trop sur votre courage, sur votre désintéressement et sur votre droiture. L’enfant n’a rien à lui ; il traite un diamant comme une pomme. Soyez enfant. Rien de propre. Oubliez-vous. Cédez à tout. Que les moindres choses soient plus grandes que vous.
Priez du cœur simplement, par pure affection, point par la tête et en personne qui raisonne.
La vraie instruction pour vous est le dépouillement, le recueillement profond, le silence de toute l’âme devant Dieu, le renoncement à l’esprit, le goût de la petitesse, de l’obscurité, de l’impuissance et de l’anéantissement. Voilà l’ignorance qui seule enseigne toutes les vérités que les sciences ne découvrent point, ou ne montrent que superficiellement.
Fénelon, Lettre à une damoiselle