La fête de la Nuit de Shiva (shiva-râtrî) représente la disparition de tout, à la fin d'un grand cycle cosmique, ou à la fin de n'importe quel cycle, grand ou petit, comme la fin d'une vie, la fin d'une journée, la fin d'une respiration, la fin d'une pensée.
Dans cette obscurité brille une lumière qui ne se couche jamais. Cette clarté est Shiva, Dieu, deva "celui qui brille". Je peux la découvrir dans l'intervalle entre deux pensées, entre veille et sommeil, entre présence et absence, entre deux respirations aussi.
Ensuite, je reconnais cette même lumière quand le monde réapparait. Et je ressens que tout est manifestation de cette lumière.
Comme le chante Abhinava Goupta, elle est
"cette lumière qui jamais ne se couche,
dans la lumière et l'obscurité aussi bien.
Il est cet Un en qui existent
tant les lumières que les ténèbres." (Quinze versets pour l'éveil, 1)
Toute chose brille parce qu'elle brille, cette Déesse qui se divertit ainsi à sa guise. A elle-même sa propre clarté : "Le Voyant ne perd jamais la vision". "Dans la lumière", dans l'état de veille. "Dans l'obscurité", l'état de sommeil profond, le coma, l'évanouissement. L'état d'inconscience n'est qu'un état de conscience indifférencié. Mais nous prenons cette absence de contenu différencié pour une absence de soi.
"En qui existent les lumières" : la présence de telle ou telle chose. "et les ténèbres" : l'absence de telle ou telle chose. Autrement dit, les choses apparaissent et disparaissent en cette lumière et par elle, elles n'en sont que les rayons, comme les vagues dans l'océan. Plonger en cette lumière, se laisser posséder par l'Être, est le tout de la vie intérieure. Rien d'autre n'est nécessaire, que cet unique nécessaire.
En effet, à quoi bon un "moyen" autre qu'elle ? De fait, le monde "extérieur" qui nous détourne de "l'intérieur" n'existe en réalité que par cette lumière et dans elle. Et tout apparaît à sa suite. Comment pourrait-elle être éclairée par ce qu'elle éclaire ? Comment la luciole pourrait-elle illuminer le jour ? En outre, tout ce qui apparaît est délimité, fini. Seul l'Apparaître en qui tout cela baigne, est infini. Nulle besoin de preuve, de méthode ni de moyen pour faire advenir cet unique antérieur à tout, car âme, être et vie de tout. Il est l'évidence insaisissable. Il n'est pas ceci, ni cela, mais ce par quoi ceci et cela sont. Il est ce qui se manifeste par soi, qui manifeste tout, que rien ne peut manifester.
Cependant, cet Un est doué du pouvoir d'inattention de d'oubli. Il peut donc s'oublier en moi et se reconnaître en moi. Rien n'est gagner par là. Et tout. Il y a ainsi une double causalité : l'Un est toujours déjà cause de tout ; et réaliser cela est cause de tous les biens. Telle est la "nuit" de Shiva, évidence éblouissante à toutes les paires d'yeux, limpide à l'œil unique qui embrasse tous les regards et qui n'attend qu'un geste d'abandon pour les embraser.