" [Les] causes fondamentales [de la catastrophe] résident dans les conventions bien ancrées de la culture japonaise : notre sens de l'obéissance, notre réticence à contester l'autorité, notre volonté de "respecter le plan", notre préférence pour les activités en groupe et notre insularité. Nous devons reconnaître, même si c'est très douloureux, que ce fut un désastre "made in Japan". Si d'autres Japonais avaient été à la place des responsables de cet accident, le résultat aurait très bien pu être le même. " (Pr. Kiyoshi Kurokawa, le 5 juillet 2012).
Voilà du Japan bashing, cela change du French bashing ! L'accident nucléaire de Fukushima Daiichi a eu lieu il y a maintenant dix ans, le 11 mars 2011, à la suite du tsunami de 15 mètres qui a noyé la côte est du Japon, du côté de Sendai, consécutif à un séisme, le 11 mars 2011 à 6 heures 46 (heure de Paris), de magnitude 9 dont l'épicentre était situé à 130 kilomètres à l'est de Sendai.
Le tsunami a eu lieu 51 secondes après le tremblement de terre, pénétrant jusqu'à 10 kilomètres à l'intérieur des terres, sur 600 kilomètres de côtes, avec une vague allant jusqu'à 30 mètres de haut, 15 mètres au niveau de la centrale nucléaire.
Cette catastrophe naturelle a provoqué la mort d'environ 15 000 à 20 000 personnes, c'est beaucoup mais très faible par rapport à l'intensité du séisme, et ce "faible" nombre de victimes provient du fait que les constructions ont résisté à ce tremblement de terre. Un même séisme à Haïti ou dans d'autres endroits du monde beaucoup plus pauvres que le Japon aurait été un désastre humain bien plus grave (a été, à l'indicatif pour Haïti, hélas).
Pendant plusieurs semaines, les actualités de la planète entière étaient focalisées sur cet accident nucléaire de première ampleur, rappelant des souvenirs particulièrement inquiétants un quart de siècle auparavant, l'accident de Tchernobyl.
Paradoxalement aux peurs et aux rumeurs, le nombre de victimes de la catastrophe est relativement "faible" : seulement un décès pourrait être imputable à des rejets radioactifs, et quatre employés de la centrale ont été malades. À ce bilan humain, il faut ajouter plus de 2 000 décès indirects, dus à l'évacuation de la population de certaines zones irradiées (par exemple, ce centenaire de 102 ans, Fumo Okubo, qui s'est suicidé de désespoir parce qu'il refusait de quitter sa maison).
La responsabilité de la société Tepco qui exploitait cette centrale nucléaire au Japon a été pointée du doigt par un très volumineux rapport après une mission menée par le professeur Kiyoshi Kurokawa, médecin de l'Université de Tokyo. L'une de ses conclusions est étrange puisqu'il indique que la culture japonaise elle-même, celle de l'obéissance aveugle à l'autorité, a été l'une des causes de cette catastrophe nucléaire : " Nous pensons que les causes profondes de l'incident sont les systèmes réglementaires et organisationnels qui ont entraîné la prise de décision et de mesures non adéquates, plutôt que les compétences d'individus en particulier. ".
Publié le 5 juillet 2012, ce rapport accablant de 641 pages, résultat de six mois d'investigation et de 900 heures d'auditions de plus d'un millier de personnes, a été commandé par le Parlement japonais et rédigé par une commission d'enquête indépendante qui conclut ainsi : " L'accident de la centrale nucléaire de Fukushima est le résultat d'une connivence entre le gouvernement, les régulateurs et Tepco, ainsi que du manque de gouvernance de la part de ces parties. ".
L'un des points polémiques a été sur la cause de la destruction du système de refroidissement des quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi qui a provoqué la fusion de trois réacteurs. Pour Tepco, c'est le tsunami le responsable, tandis que le rapport tente d'expliquer qu'il n'est pas exclu que la cause soit le tremblement de terre lui-même. L'un, le tsunami, était imprévisible et improbable, l'autre, le séisme, était susceptible d'être mieux anticipé. Encore que, pour le tsunami, dès 2006, Tepco avait été averti qu'il fallait imaginer la sécurité en cas de tsunami. D'autres rapports ont été publiés, qui accablent tout autant le gouvernement et Tepco.
De nombreux procès ont eu lieu au Japon, sur l'accident de la centrale lui-même ou sur ses conséquences avec les évacuations de la population. Le tribunal de Maebashi a déclaré le gouvernement japonais et Tepco coupables de négligence le 17 mars 2017 et les a condamnés à verser des indemnités à des plaignants victimes des déplacements. La raison d'avoir condamné le gouvernement est qu'il aurait dû contraindre Tepco à prendre des mesures de prévention des risques pus adaptées à la localisation de la centrale.
Dans tous les cas, on tire toujours des leçons des catastrophes. La sécurité a ainsi été renforcée dans la plupart des pays nucléarisés, comme ce fut le cas après la catastrophe de Tchernobyl (26 avril 1986) et même de Three Mile Island (28 mars 1979). Des procédures consolidées, des contrôles plus contraignants. L'invention du frein d'automobile provient du premier accident d'automobile (le fardier de Cugnot) sur la route, survenu en avril 1770.
Pendant plusieurs semaines, au printemps 2011, de nombreux amateurs, plus ou moins bien informés sur Internet et dans les médias, se sont improvisés ingénieurs en physique nucléaire et radiologues, un peu comme depuis un an, ils sont devenus des épidémiologistes, des virologues et des infectiologues chevronnés.
La peur fut alors le premier des moteurs, la peur de l'énergie nucléaire. Effectivement, cette catastrophe, qui a beaucoup inquiété dans la psychose d'une catastrophe planétaire, est devenue un argument massue pour dénucléariser la plupart des pays du monde.
Parmi les conséquences politiques, l'Allemagne de la Chancelière Angela Merkel a pris la décision en avril 2011 de fermer ses 17 réacteurs de centrale nucléaire en dix ans (représentant 22% de ses besoins énergétiques), décision qui n'était pas sans arrière-pensée politique pour capter un électorat écologiste nombreux et dynamique. Mais la politique fait-elle bon ménage avec la raison ? Pas toujours (voire jamais ?). Dommage pour une physicienne. En tout cas, l'Allemagne, ayant besoin d'énergie, s'est remise au charbon et n'hésite pas non plus à importer de l'énergie de la France, énergie ...qui est nucléaire, évidemment. Il y a donc dans cette décision au mieux une forte hypocrisie, au pire, un contresens historique important, à moins que ce ne soit qu'un calcul électoraliste on ne peut plus cynique.
Les Français aussi ont été très inquiets de cette catastrophe nucléaire et certains se sont mis à douter de la pertinence du programme nucléaire français. Les sondages ont mesuré à l'époque environ une petite moitié favorable et un peu moins défavorable au maintien du parc nucléaire. Au bout d'un an, au printemps 2012, les sondages en France ont évolué et les partisans du nucléaire ont repris des positions à la hausse. Quittant l'avant-scène de l'actualité, la peur s'était évaporée. Jusqu'au prochain accident ?
Au-delà de Fukushima, la perspective du changement climatique et son explication supposée par le dioxyde de carbone émis par l'activité humaine a bouleversé les données du problème environnemental planétaire. Il faut tout miser pour en finir avec les énergies fossiles (j'y exclus le nucléaire même s'il y a un besoin en combustible nucléaire qui pourrait classer également dans les énergies fossiles). L'énergie nucléaire a alors l'avantage de ne rejeter que des vapeurs d'eau au-dessus des réacteurs.
Certes, le "problème" des déchets nucléaires, ainsi que les risques accidentels de type Fukushima (tremblement de terre, tsunami, ouragan, inondation) et d'autres risques, par exemple une attaque terroriste (un survol de centrale par un drone inconnu a montré que la sécurité des centrales n'est pas parfaitement infaillible).demeurent toujours des inconvénients non négligeables, cependant, susceptibles de connaître des solutions technologiques adéquates.
Mais le bilan est éloquent depuis plusieurs décennies que cette énergie nucléaire est produite dans de nombreux pays du monde : cette énergie a, pour l'heure, et malgré deux catastrophes majeures, d'échelle 7, le maximum, provoqué un nombre de décès particulièrement bas si l'on le compare aux millions de décès provenant des énergies fossiles.
Selon certaines estimations et en tenant compte des deux catastrophes nucléaires citées (Tchernobyl et Fukushima) ainsi que de l'extraction dans les mines d'uranium, le coût humain de l'énergie nucléaire est bien moindre qu'avec les autres énergies. Ainsi, selon James Conca dans "Forbes" le 10 juin 20212, le nucléaire provoquerait 90 décès par milliard de MWh produits, tandis que le charbon provoquerait 100 000 décès par milliard de MWh, le pétrole 36 000 décès, la biomasse 24 000 décès, le gaz naturel 4 000 décès, l'hydroélectricité 1 400 décès, l'énergie photovoltaïque 440 décès et l'énergie éolienne 150 décès par milliard de MWh.
La comparaison macabre n'est pas l'essentiel et est évidemment biaisée. Car s'il y a beaucoup moins de morts dans l'exploitation ordinaire de toute la filière nucléaire, en cas de catastrophe pire que celles déjà connues, on pourrait imaginer un nombre incalculable de décès, et ceux-là répartis sur un grand territoire et sur plusieurs décennies (notons néanmoins qu'à la fin, tout le monde meurt, argument sophistiqué utilisé lors de l'actuelle pandémie de covid-19 pour minimiser les plus de 2,5 millions de victimes du coronavirus qui y ont laissé leur vie).
Depuis au moins les Accords de Paris, il y a un peu plus de cinq ans, le 12 décembre 2015, les objectifs planétaires sont désormais clairs : réduire les émissions de CO2, ce qui signifie que l'énergie nucléaire devient le premier mode de production d'énergie "propre", bien avant l'éolien et le solaire qui sont des énergies intéressantes mais jamais massives dès lors que nous ne sommes (encore) pas capables de stocker l'énergie (sans perte).
Le nucléaire se retrouve ainsi plongé dans une contradiction fondamentale de l'écologie actuelle : les militants écologistes sont historiquement antinucléaire, mais le nucléaire reste aujourd'hui la solution la plus réaliste et immédiate pour en finir avec le pétrole. C'est du moins la meilleure solution provisoire en attendant la fusion nucléaire...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 mars 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Fukushima, dix ans après.
Apocalypse à la Toussaint ?
Haïti, cauchemars et espoirs.
Erika (12 décembre 1999).
Le tsunami des Célèbes (28 septembre 2018).
Le tremblement de terre à Haïti (12 janvier 2010).
L'incendie de Notre-Dame de Paris (15 avril 2019).
Le syndrome de Hiroshima.
Amoco Cadiz (16 mars 1978).
Tchernobyl (1986).
AZF (21 septembre 2001).
Fukushima (11 mars 2011).
L'industrie de l'énergie en France.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210311-fukushima.html
https://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/fukushima-dix-ans-apres-231488
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