Lecteurs piano, lectrices forte, vous avez déjà pu savourer sur ce blog, un premier hommage de musiciens et compositeurs français vivants ( Pierre Durand, Leila Olivesi & Olivier Calmel) à Chick Corea. Overblog ne me permettait pas de tout inclure dans un seul article.
Voici donc un Encore avec le témoignage de Marc Benham (piano) qui répond aux 3 mêmes questions que ses 3 collègues créateurs:
1. Quels sont vos souvenirs personnels de Chick Corea (concerts, rencontres)?
2. Quelle est l'influence de Chick Corea sur votre musique?
3. Quels albums, morceaux de Chick Corea recommanderiez vous à ceux qui ne le connaissent pas?
Ma passion pour Chick Corea est lointaine. Tandis qu'enfant je me gorgeais de quelques vinyles d'Art Tatum, d'Oscar Peterson et du Modern Jazz Quartet trouvés à la maison entre mille compiles de chanson française (ha, les collections Le Cadeau de la Vie...), mon frère âgé de 11 ans de plus rentra un jour à la maison en possession d'un cd du Chick Corea Elektric Band. Une musique totalement saisissante, qui avait ceci de séduisant que l'on y entendait des sons de synthétiseur, très virtuoses de surcroît, ce qui fut une bonne première accroche pour l'enfant assoiffé de sensations que j'étais. L'univers sonore de ce groupe, souvent raillé depuis pour la rapide obsolescence des sons de synthés, mais aussi pour le côté froid que peut avoir le jazz-fusion de ces années 80, rempli de mises en places rythmiques, de rigueur à l'époque, tout comme un son de sax alto très "saxo", type générique d'un épisode de la série Rick Hunter. Pour autant cette musique était également, entre autres pleine de fantaisie, de lyrisme (je recommande l'écoute du titre Eternal Child sur l'album Eye of the Beholder), et d'un groove monstrueux (cf: l'album Beneath The Mask par exemple).
Bref, une belle porte d'entrée dans l'univers gargantuesque de Chick Corea, dont je découvris un peu à rebours un grand nombre d'albums, très différents les uns des autres, mais au milieu duquel on retrouvait un jeu de piano aussi fascinant qu'extrêmement personnel, libre et d'une unité absolue.
Depuis lors, je fus accompagné à chaque période de ma vie par différents albums de Chick, tout en m'éprenant de nombreux autres artistes passionnants, mais comme découverts plus tard, ayant moins ce caractère familier des artistes écoutés dans la petite enfance.
Je l'ai rencontré deux ou trois fois lors de ses concerts ou de certains festivals où j'eu la chance de me produire également, et n'ai jamais raté une occasion de venir lui serrer respectueusement la louche, en groupie éternelle que je suis avec lui. Il me vient une anecdote rigolote: avec un ami pianiste très proche, dont je tairai ici le nom, nous étions allé écouter le concert de son groupe au New Morning, à la fin des années 90 donc avant la loi Evin ( NDLR: Erreur factuelle. La loi n°91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme dite Loi " Evin " était déjà en vigueur en France à la fin des années 1990). Placés idéalement, juste derrière Chick pour ne pas perdre une miette de ses doigts sur le clavier, mon camarade a l'idée saugrenue d'allumer un joint " pour profiter un peu plus du moment ". Cela a considérablement incommodé Chick et avant la reprise du 2eme set une annonce faite au micro résonna pour demander au honteux contrevenant anonyme de s'abstenir désormais, sous peine d'annulation du concert.
Mon ami, cramoisi sur le moment rangea vite sa camelote mais nous rions encore aujourd'hui de cette histoire.
Certaines personnes prétendent que Chick fit usage des substances il y a fort longtemps, avant d'être aidé à décrocher par le truchement d'une certaine adhésion à une secte bien connue. Ses détracteurs l'ont toujours souligné, personnellement cela m'en touche une etc...
Cela me rappelle cette petite histoire, lue il y a longtemps : un jeune et récent musicien du groupe, dans le car de tournée, qui aurait suggéré, goguenard : " Hey guys, let's get high before the gig!" Ce à quoi Chick aurait répondu du tac au tac: " Hey guys, let's get CLEAN before the gig! " Anecdote gouleyante... ( NDLR: Hé les gars, on se défonce avant le concert! Hé les gars, on se met PROPRES avant le concert!)
2- Quelques mots à propos de son influence sur mon travail:
J'ai été longtemps obsédé par le style stride au piano, que je trouve à la fois suranné, spectaculaire parfois, mais surtout nostalgique et très poétique. J'ai longtemps cherché à marier celui-ci avec des couleurs plus modernes.
La musique de Chick, lui même très connaisseur du patrimoine qu'il a toujours passé à sa moulinette pianistique, m'a prouvé qu'il était parfaitement possible de développer sa propre palette sonore, chargée d'influences souvent multiples, pour essayer d'en tirer un substantifique style, que l'on passera sa vie à polir, et à requestionner. C'est ce que j'aime dans cette musique de jazz. Cela donne du sens à la vie.
La musique de Chick Corea m'a également prouvé que l'hétérogénéité des projets et instrumentations mettent en exergue l'importance de l'unité du jeu de piano en lui même, le sien reconnaissable au milieu de mille nuances esthétiques ou tout simplement sonores. Ce qui confère une énorme liberté de monter des groupes ou répertoires très différents sans forcément perdre ses auditeurs.
Enfin, à l'instar d'un John Lewis ou d'un Bill Evans, Chick, fin connaisseur de nombreuses musiques antérieures, fait également un lien appuyé entre les couleurs harmoniques médiévales, baroques, classiques, et le jazz. C'est un point très important de mon travail, en tant que compositeur, improvisateur et également enseignant. Je dis d'ailleurs souvent à mes étudiants qu'en tant que musiciens de jazz, nous devons accomplir en parallèle le métier d'historien et celui de chercheur ( NDLR: En tant que fils d'un historien chercheur, Michel Lagrée (1946-2001), qui m'inocula le virus du Jazz à vie, je ne puis qu'approuver).
3- Albums ou titres à conseiller
Ils sont innombrables bien sûr, et dès l'article envoyé à Guillaume je regretterai d'en avoir omis beaucoup, donc voici ceux qui me viennent à l'instant :
À découvrir dans le désordre:
Et bien d'autres encore, de nombreux lives, disques en sideman également, (avec Miles Davis, Stan Getz, Joe Henderson, mais aussi Mongo Santamaria, Lionel Hampton, Chick aurait même accompagné Cab Calloway!)
bref ce serait trop long!
Par esprit de contradiction, j'ai choisi pour illustrer cet article un extrait audio d'un double album que Marc Benham n'a pas mentionné. " " (1982) avec Miroslav Vitous (contrebasse) & Roy Haynes (batterie). Le 1er morceau de la première partie de l'album, totalement improvisée, " Trio Music improvisation Part 1 ". La seconde partie de l'album est consacrée au répertoire de Thelonious Sphere Monk (1917- 1982).