Vous entrez dans Détroit en compagnie d’un flic, Ira, qui est né là, qui a grandi là, qui a vu le Brewster Project, pourtant inauguré en grande pompe par Mrs Eleanor Roosevelt, s’écrouler avec l’industrie pour laquelle il avait été construit. Les rêves des premiers habitants se sont effondrés au fur et à mesure qu’on a détruit les immeubles, et qu’on a fait passer l’autoroute « là où nous dansions », pour aller plus vite dans les quartiers chics que les Blancs se sont aménagés, abandonnant les tours aux Noirs, descendants des premiers esclaves arrivés ici et parlant français… Dès le projet de construire connu, certains disaient déjà qu’il ne s’agissait que de parquer les Noirs près des usines où ils seraient plus faciles à exploiter. Pourtant c’est dans ce Brewster Project qu’est née la Motown, faisant connaître au monde des musiques, des artistes, des groupes. Vous voulez un nom ? Stevie Wonder, ou encore The Supremes, et tant d'autres… Les personnages qu’on suit dans ce roman, Ira et Sarah, ont côtoyé ces artistes naissants, même immeuble, mêmes distractions d’enfants. Mais la Motown finira par quitter Détroit. « L’abandon vient toujours des donneurs d’ordre ». Ira et Sarah ont aussi partagé des jeux et des espoirs avec d’autres jeunes gens de leur âge avant que ces derniers, à l’instar de Tim, qu’Ira a arrêté, ne sombrent dans la violence, née de cet abandon et de ces ruines.
Construit comme une enquête pour retrouver l’identité d’un jeune assassiné dans les ruines du Brewster Project, ce roman de Judith Perrignon explore l’histoire d’une ville qui fut le berceau de l’industrie automobile et que les lois du capitalisme ont vidée, peut-être à cause de l’alliance, que les capitalistes jugeaient improbable, des Noirs et des syndicalistes, peut-être parce qu’il fallait casser l’énergie qui jaillissait de ces gens qu’on avait parqués là. Désormais les règles ont changé. Désormais les ruines étendent leur poussière. Un jeune homme, qui a arpenté l’Europe des conflits et des dictatures, est venu mourir là : « il ne savait pas qu’ici aussi c’est la guerre ».