Ce matin, j'ai eu le plaisir de lire ce texte de la journaliste congolaise Anasthasie Tudieshe, basée à Kinshasa pour la Voix de l'Amérique. En nous donnant son regard sur ce qu'elle observe, sur ce qu'elle subit, elle nous donne de mesurer les combats à mener en RDC avec beaucoup d'objectivité. Bref, je vous laisse méditer sur son propos et je la remercie d'avoir accepté que je publie son témoignage, un peu tard à cause du télétravail...
Première fois que j'écris sur la journée des droits des femmes, dont je ressens plus que jamais l'importance. Peut-être parce que je vis dans un pays où je ressens plus que dans les autres pays où j'ai vécu ou voyagé ( à l'exception des pays asiatiques) le danger, la fragilité, la précarité qu'il y a à être une femme. Surtout seule. Et indépendante. Et si vous êtes considérée désirable, cela peut vous bloquer certains accès parce que votre corps est la monnaie d'échange. Je n'ai jamais vu nulle part auparavant un tel machisme décomplexé. Venant des femmes ( très nombreuses à penser que nous avons "une place". Derrière, loin derrière ces messieurs. Et qui donc éduquent des générations de fillettes... et de garçons dans cette idée) comme des hommes d'ailleurs. Ça n'est pas une invention congolaise, naturellement. Mais le degré, et la liberté avec lequel cela se manifeste ici est unmatched pour moi. Du protocole de l'assemblée nationale qui veut me faire chasser de la salle parce que je ne porte pas de pagne pour venir faire mon reportage (sur la nomination d'une femme au perchoir soit dit en passant) à la tantine qui m'explique que je dois me respecter (comprenez ne pas porter de leggings pour faire mon jogging dans le quartier, trop provocant pour les hommes que je croiserais), ou à ce taxi qui me dit, pensant me faire un compliment : "Vous êtes un homme. Vous n'avez qu'une parole. Vous vous tenez à ce que vous dites... ( Sic)", d'ailleurs mon surnom le plus commun : mwasi-mobali (femme-homme). Et c'est dit comme un compliment. Les micros agressions sont quotidiennes...et bien sûr formuler mon étonnement ou ma désapprobation c'est faire la blanche. Bien sûr. Chacun son point Godwin.
Heureusement il y a des complices chez les hommes. Plus que chez les femmes d'ailleurs. Qui vous poussent dans le dos, fièrement. Déplorent l'idiotie de leurs congénères et vous soutiennent moralement, vous font confiance, passent le coup de fil qui débloque une situation, ou en vous écoutent. Ou vous font rire. Ou danser. Ou chanter. Mais la route est longue et le struggle is real. Pour moi il est surtout du côté des femmes le struggle. Parce que nous sommes les éducatrices premières et ultimes. Prendre conscience de nos droits, du plus petit au plus grand et transmettre aux filles comme aux garçons que ça n'est pas négociable, et que la liberté de l'une nourrit la liberté de l'autre. Que ce droit à être tout engage aussi, est une responsabilité. Je constate ici que la solidarité est un mot féminin, mais qu'il n'est pas encore une réalité féminine. Et que cette rivalité automatique est un piège dont il faut sortir, parce qu'il plombe la société entière. Je ne vois pas de solidarité de la belle-mère à sa belle-fille. Des belles-sœurs entre elles. De la boss envers la secrétaire, la stagiaire. De la mère envers sa fille aînée. La mère, qui distribue les rôles et éduque dit à son fils : tu seras ministre, et à sa fille tu épouseras un ministre (Je paraphrase une magnifique slameuse de Goma dont le nom m'échappe.Doris je crois...). Et tant pis si la fille est le génie de la famille et le garçon un jeanfoutre. Et pourtant, jamais été aussi heureuse d'être une femme, Congolaise, africaine, de la diaspora. Parce ce sont ces identités complexes qui permettent de saisir ces complexités. Et de percevoir de l'espoir (beaucoup) là où d'autres voient de tristes statistiques.
Une autre congolaise
J'adore être à un âge où je peux dire aux jeunes femmes : n'ayez pas peur d'être qui vous êtes. Affirmez-vous. Telles que vous êtes. En douceur ou en hurlant, soyez vous-mêmes. Nature, sophistiquée, scientifique ou femme au foyer. Soyez votre meilleure amie. Faites-vous confiance. Être une femme est magique si l'on veut bien s'honorer, s'écouter, se respecter. C'est un droit, c'est même un devoir. Puisse cette journée, ce mois, cette année nous permettre de nous en souvenir.
Un article d'Anasthasie Tudieshe
Source photo FB Tudieshe / Gedeon Timothy