En 410 ap. J-C, à Hippone, la ville d'Augustin, on annonce l'inimaginable : Rome est tombée face aux invasions barbares ; l'évêque prononce alors un célébrissime sermon : les Chrétiens ne doivent pas pleurer sur la fin d'un monde...
La fin d'un monde, c'est ce que semblent vivre tous les protagonistes de ce roman de Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, dans une Corse qui n'a rien d'un paradis pour touristes... Nous croisons d'abord Marcel, dont la vie fut un interminable échec, quoi qu'il fasse : il passe son enfance malade et contraint de mentir sur son état pour pouvoir aller à l'école ; il devient fonctionnaire en Afrique, au moment même où l'empire colonial de la France se délite... La seule femme qu'il ait aimée meurt en couches, ne lui laissant qu'un fils qu'il n'aime guère et laisse très vite à sa sœur aînée...
La génération suivante n'est guère plus heureuse : le fils de Marcel, Jacques, épouse sa cousine germaine, Claudie, ce qui a pour effet de le brouiller durablement avec sa famille...
Puis vient la troisième génération, sur laquelle se focalise le récit : Matthieu, fils de Jacques, abandonne ses études de philosophie, afin d'ouvrir, dans le village de son grand-père, un bar, avec son meilleur ami Libero. Au début, tout semble leur sourire, puis l'ambiance devient délétère, une serveuse puise dans la caisse, le musicien qui joue tous les soirs se montre de plus en plus odieux, tandis que la clientèle se clochardise inexorablement... jusqu'au drame final.
Il y a parfois des passages très drôles, dans ce livre - par exemple la peinture au vitriol du milieu universitaire et normalien, où l'on croise un "jeune ulmien", aussi imbu de sa personne que creux, et pour qui la philosophie n'est qu'un tremplin pour une carrière plus médiatique et plus rémunératrice... Si je n'avais dix ans de plus que l'auteur, je croirais reconnaître certains condisciples !...
Jérôme Ferrari n'est pas tendre non plus envers les Corses, un tantinet racistes (Le jeune Libero, d'origine Sarde, en fit l'expérience dès l'enfance), et enfermés dans une société rigide et intolérante, au machisme caricatural ; mais surtout, l'ensemble des personnages semblent incapables d'aimer quiconque, y compris eux-mêmes... On ne pleurerait pas, en effet, sur la chute d'un tel monde !...