(Note de lecture), Jean-Charles Vegliante, Trois cahiers avec une chanson suivi de Sources de La Loue, par Valérie Bravaccio

Par Florence Trocmé

(1) (2) Autocitation extraite d'un recueil antérieur de J.-Ch Vegliante, intitulé
Le thème dominant du nouveau recueil de Jean-Charles Vegliante est le temps du travail d'écriture, celui d'une mise au propre de " [...] quelques bouts / de quelque chose qui deviendra peut-être / si l'on peut dire ça - un poème [...] ", et qui, une fois le projet réalisé, s'inscrit " dans une autre attente : de votre lecture " (selon le texte liminaire, repris sous forme de prose sur la quatrième de couverture). La deuxième partie du recueil, Source de la Loue, est effectivement une composition actualisée (1). Les trois cahiers, dont chacun comporte une chanson, sont, par contre, de nouvelles compositions. Ils sont probablement à mettre en relation avec le " petit carnet " qui figure à l'ouverture de cette première partie du recueil (2). Le temps de l'écriture, de la composition de l'œuvre, et le temps de la lecture (c'est-à-dire sa réception), s'inscriraient probablement dans la même durée, avec autant d'intensité.
Observons visuellement l'ouvrage. Sur la couverture du recueil une photographie couleur représente une porte semi-vitrée ouverte dans un couloir dirigeant l'attention sur une deuxième porte similaire, plus petite selon les lois de la perspective. Elle donne à voir une autre profondeur de champ, celle du langage poétique. Les trois illustrations de l'auteur insérées dans la première partie du recueil ( Carnet chinois, Arbre, Personae) pourraient faire penser à trois marque-pages pour aider le lecteur à reconnaître les frontières des trois carnets. Mais en les observant de plus près, on s'aperçoit qu'elles suscitent en nous une nouvelle vision. Par exemple, l'écorce en arrière-plan de l' Arbre, laisse deviner les traits d'un visage exprimant la surprise. Ces impressions visuelles peuvent se manifester dans notre quotidien, comme lorsque l'on découvre qu' " Il y a un visage dans le nuage / qui passe plus vite que ton émotion " (deuxième carnet, Habiter l'invisible).
Dans le domaine de la poésie, le champ d'action est beaucoup plus vaste : " Si la mer est un ciel couché dans les sables / apprends-nous sa langue d'harpe d'air / pour d'autres voyages [...] " (Incipit du Carnet chinois). Prenons en exemple le référent du titre du carnet Mouchoirs, fichus. Il ne s'agit pas seulement de " ce petit rectangle liseré qui garde / les odeurs de ton fond de teint, de tes larmes " ( Replier) et de foulards recouvrant la chevelure. C'est d'abord une matière servant à tisser des liens qui peuvent être de toutes sortes. Celui du temps qui a été et qui passe " Sur une photo d'il y a 50 ans, / lumineuse rebelle tu me regardes / tel que je suis hélas après tout ce temps / devenu - tes cheveux sont blonds, les miens blancs - [...] " ( Images), ou bien celui que l'on a l'habitude d'appeler le lien intertextuel : " Ce soir la lune fait un étrange bruit " ( Sensiblerie - avec Leopardi). Ou encore, stylistique : " Les lieux paradisiaques seront enfer / estival pour vous, invivables l'hiver / [...] " ( Été fichu) ; " Dans le matin froid le corbeau crie Froid Froid /[...] " ( Oiseau de malheur). Le poète crée surtout des instantanés auditifs et visuels pour inviter le lecteur à les reconnaître et à les partager en s'y reconnaissant.

Valérie T. Bravaccio

Source de la Loue a paru une première fois en 1998 dans la revue " Le Mâche-Laurier " (éditée par Obsidiane) puis, en 2000 chez l'éditeur Belin dans le troisième recueil de poésies de Jean-Charles Vegliante intitulé Rien commun. Entre ces deux premières versions, il y a eu très peu de réajustements. Ici, il s'agit de sa version actualisée car elle a davantage de vers, situés à la fin. Où nul ne veut se tenir, 2016 (Prix Hérédia - Académie Française, 2018). Source de la Loue est la deuxième partie du recueil car le poème est précédé d'une page de garde interne où est mentionné son titre accompagné d'une indication paratextuelle entre parenthèses " (hypersonnet avec un envoi) ".
Jean-Charles Vegliante, Trois cahiers avec une chanson suivi de Source de la Loue, édition de l'Atelier du Grand Tétras, 2020, 64 p., 12€
Aux aguets
Quand tout bruit s'est arrêté c'est qu'il écoute
quelque part dans ce lieu où l'on n'y vit goutte
Nos odeurs lui arrivent peut-être il sait
ce que nous faisons suspendus et inquiets
Le soir descend comme une coulée de fioul
(p. 39)
*
Une boule de plumes se pose
à l'angle du mur avant l'aurore
et attend le soleil en silence
puis le salue de brefs pépiements
maladroits. Le chant de l'orphelin
- écoute mieux
il dit Amour
mon dictateur
(p. 32)