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Michel d’Ornano, loyauté giscardienne et suzeraineté normande

Publié le 07 mars 2021 par Sylvainrakotoarison

" Tout Deauville et tous les giscardiens étaient là. Pas beaucoup de chiraquiens, moins encore de socialistes à l'exception des élus locaux. " (Michèle Cotta, le 12 mars 1991).
Michel d’Ornano, loyauté giscardienne et suzeraineté normande
Dans ses " Cahiers secrets", Michèle Cotta évoquait ainsi les obsèques d'un grand baron du giscardisme. Michel d'Ornano est mort il y a trente ans, le 8 mars 1991 d'un banal accident de la circulation. Alors qu'il sortait d'un café et bureau de tabac à Saint-Cloud, une camionnette l'a heurté. Avec lui, c'était l'un des plus fidèles et des plus loyaux lieutenants de Valéry Giscard d'Estaing qui a disparu à une époque où VGE comptait reprendre de l'influence dans le paysage politique français. Il avait 66 ans (né le 12 juillet 1924 à Paris).
À l'époque, Valéry Giscard d'Estaing était le président de l'UDF depuis juin 1988 et souhaitait préparer une revanche pour 1995 (sans succès). Michel d'Ornano était son collaborateur le plus proche, comme secrétaire général de l'UDF. À la mort accidentelle de ce dernier, le secrétaire général adjoint de l'UDF le remplaça auprès de VGE, un certain ... François Bayrou.
Mais revenons à la figure de Michel d'Ornano souvent appelé le "duc de Normandie" (en fait de Basse-Normandie, vu qu'à l'époque, il y en avait deux) mais au-delà de ce seigneur politique régional, il s'était caractérisé comme l'un des plus proches de Valéry Giscard d'Estaing. Être au service d'un grand leader qui est devenu le Président de la République, c'était aussi gagner dans son sillage des responsabilités nationales.
Michèle Cotta a noté le 25 avril 1974, en pleine campagne présidentielle, une confidence d'André Mousset, le porte-parole du candidat VGE : " Il m'explique qu'il y a des degrés dans les confidences de Giscard. Une confidence de premier degré, il peut la faire à d'Ornano et à quelques proches. Mais, s'il a un doute sur lui-même, il n'en parle qu'à Michel Poniatowski. ". Mais cela n'était plus valable quand Ponia fut exfiltré du nouveau gouvernement en 1977, au même titre que Jean Lecanuet et Olivier Guichard. Plus généralement, Michel d'Ornano a toujours fait partie du petit noyau dur du giscardisme fidèle, de "républicains indépendants", avant, pendant et après le septennat de leur mentor : Ponia, Michel d'Ornano, Jean-Pierre Soisson, Jean-François Deniau, Roger Chinaud, et dans une moindre mesure (car moins fiable), Jacques Dominati.
D'une famille d'industriels dans le parfum, Michel d'Ornano a commencé sa grande et dense carrière d'élu en se faisant élire maire de Deauville en 1962, et il le resta, réélu constamment, jusqu'en mars 1977 où il a renoncé à ce mandat pour une raison politique impérieuse (voir plus loin), et l'a "cédé" à son épouse Anne d'Ornano qui fut la continuatrice, maire de Deauville de mars 1977 à mars 2001 (conseillère municipale jusqu'en 2014). Michel d'Ornano fut élu député RI puis UDF-PR du Calvados de mars 1967 jusqu'à sa mort en mars 1991. À sa mort, sa suppléante Nicole Ameline lui succéda et fut réélue sans discontinuité députée du Calvados jusqu'en juin 2017 où elle fut battue par un candidat LREM (elle fut ministre dans les gouvernements d' Alain Juppé et de Jean-Pierre Raffarin, puis ambassadrice).
Comme maire de Deauville, Michel d'Ornano contribua à la création du Festival du cinéma américain de Deauville, fondé par Lionel Chouchan et André Halimi, pour lequel sa femme, Anne d'Ornano (appelée pour l'occasion "Queen Anne") travailla beaucoup en raison de son activité professionnelle franco-américaine.
Michel d'Ornano fut également élu conseiller général de Trouville-sur-Mer de 1979 à sa mort, et élu président du conseil général du Calvados de 1979 à sa mort. Sa femme Anne d'Ornano lui succéda également de 1991 à 2014 comme élue du canton et de 1991 à 2011 comme présidente du conseil général. Enfin, représentant de cette époque (années 1970 et 1980) où le cumul des mandats était synonyme de grande puissance politique, Michel d'Ornano fut également élu président du conseil régional de Basse-Normandie en 1974 (juste avant sa nomination de ministre) et de 1983 à 1986. À cause de la première limitation du cumul des mandats, il abandonna la présidence du conseil régional en 1986 et l'a "transmise" à l'un de ses "poulains", René Garrec (un futur adversaire de l'ancien et futur ministre Olivier Stirn).
L'action de Michel d'Ornano dans sa région a été très importante. La ville de Caen, chef-lieu de la région Basse-Normandie, a beaucoup profité de son influence politique et ministérielle (voir plus loin). Grande ville universitaire et scientifique (en particulier dans la physique des matériaux), Caen a été choisi pour accueillir le grand accélérateur national d'ions lourds (GANIL), composé de deux cyclotrons isochrones placés en série, géré par le CNRS et le CEA, mis en service en 1983 (le projet a commencé en 1973 et les décisions politiques ont été prises en 1975). C'est aussi grâce à Michel d'Ornano que la région a obtenu des infrastructures de liaison : l'autoroute de Normandie A13 Paris-Rouen-Caen. Il fut aussi à l'origine de la ligne de turbotrain Mantes-la-Jolie-Caen-Cherbourg (quittant la ligne Paris-Rouen-Le Havre).
Directeur de campagne du candidat VGE en 1974, Michel d'Ornano lui avait conseillé de démissionner de ses fonctions de Ministre de l'Économie et des Finances pour se consacrer complètement à sa candidature. VGE refusa et préféra écouter Michel Poniatowski qui lui disait de rester aux commandes et de ne pas quitter le navire. Le documentaire de Raymond Depardon sur la campagne giscardienne de 1974 était intéressant à regarder notamment sur les rapports entre VGE et Michel d'Ornano. Ce fut peut-être même la raison d'avoir tant tardé à accepter la diffusion publique du film, après le décès de Michel d'Ornano et de Michel Poniatowski (mort en janvier 2002) qui étaient humainement peu respectés par le futur Président. Par exemple, lorsqu'il a vu la présence de Michel d'Ornano sur les plateaux de télévision pendant la soirée électorale, c'était tout juste si VGE, agacé, ne le traitait pas d'andouille pour dire qu'il fallait plutôt se taire à s'épancher à la télévision. On pouvait même ressentir une sorte d'agacement de grand propriétaire contre ses domestiques.
Après la belle victoire présidentielle, Michel d'Ornano fut de tous les gouvernements du septennat de Valéry Giscard d'Estaing : il fut nommé Ministre de l'Industrie et de la Recherche du 28 mai 1974 au 29 mars 1977, puis Ministre de la Culture et de l'Environnement du 29 mars 1977 au 31 mars 1978 (et du 4 mars 1981 au 22 mai 1981), enfin Ministre de l'Environnement et du Cadre de vie du 31 mars 1978 au 22 mai 1978.
Juste avant la démission de Jacques Chirac de Matignon, en mai 1976, il était question de nommer un nouveau Ministre de l'Information et le nom faisait l'objet d'un conflit entre l'Élysée et Matignon. Michèle Cotta l'a écrit le 18 mai 1976 : " On parle de Michel d'Ornano, que propose Giscard et dont Chirac ne veut à aucun prix. ".
Parmi les réalisations de Michel d'Ornano, comme dit précédemment, il y a le GANIL à Caen, mais plus généralement, il a lancé la France dans la modernisation scientifique, en particulier, il a lancé le plan de construction du parc de centrales nucléaires pour répondre aux besoins énergétiques de la France après le premier choc pétrolier qui permet de préserver l'indépendance énergétique du pays.
Mais le "leadership" ministériel de Michel d'Ornano sur ce sujet n'était pas évident. Rapporté par Michèle Cotta, un déjeuner fut organisé le 11 mars 1976 entre Michel d'Ornano, Ministre de l'Industrie et de la Recherche, Robert Galley (RPR), Ministre de l'Équipement, André Fosset (CDS), Ministre de la Qualité de la vie, et Paul Granet (RPR), Secrétaire d'État à l'Environnement : " Au bout de quelques instants de conversation, d'Ornano éclate sur le thème : Vous êtes tous des rigolos, le responsable du nucléaire en France, c'est moi ! Tout le monde m'emm@rde, vous m'emm@rdez tous, spécialement les membres de vos cabinets respectifs, etc. Le conseiller technique de Fosset voit rouge et, sans demander l'avis de son ministre, quitte le déjeuner en claquant la porte. Pendant que d'Ornano continue à se disputer avec Fosset, le directeur de cabinet de ce dernier dit à Paul Granet, qui commence à trouver la fête assez désagréable : "Ne t'en mêle pas, ce sont deux républicains indépendants qui se bagarrent, laissons-les faire !" " [André Fosset n'était toutefois pas républicain indépendant, mais centriste].
Comme Ministre de la Culture, Michel d'Ornano a renforcé les dotations des musées et a lancé la construction du Musée d'Orsay dans l'ancienne gare d'Orsay. C'était d'ailleurs l'un des projets dont Valéry Giscard d'Estaing était le plus fier et espérait, à sa mort, qu'on le reconnût (pourquoi pas en le baptisant de son nom, comme on a baptisé le Centre Pompidou à Beaubourg, la Bibliothèque François-Mitterrand et le Musée Jacques-Chirac du quai Branly ?). Il lança également la Cité des sciences et de l'industrie le 15 septembre 1980 dans les anciens abattoirs de La Villette, mêlant ainsi ses deux ministères, Industrie et Recherche et Culture. Ce fut, là aussi, une grande réussite "giscardienne" dont la paternité de VGE n'est que très rarement reconnue.
Michel d’Ornano, loyauté giscardienne et suzeraineté normande
La grande affaire politique de Michel d'Ornano fut l'élection du premier maire de Paris en mars 1977. À l'origine, le RPR refusait le principe d'un maire de Paris (il n'y avait jusqu'alors qu'un président du conseil municipal) pour la même raison qu'il n'y en a pas eu pendant près de deux siècles : la peur qu'il prenne trop de puissance politique face au gouvernement. Olivier Guichard, numéro deux du gouvernement, était officiellement chargé par VGE de trouver le candidat de la majorité, pour éviter la candidature de Pierre-Christian Taittinger puis de Jacques Dominati. En fait, la plupart des chefs des partis de la majorité avaient proposé le 9 novembre 1976 un nom, celui de Simone Veil qui avait même accepté la proposition de se présenter aux élections municipales à Paris (même Yves Guéna, secrétaire général du RPR, y était favorable malgré également l'hypothèse de Roger Frey).
Mais ce qu'Olivier Guichard ne savait pas (ni le Premier Ministre Raymond Barre), c'était que depuis le 2 novembre 1976, Valéry Giscard d'Estaing avait déjà son candidat, Michel d'Ornano, fidèle parmi les fidèles (lâchant Deauville), ce qui était un casus belli contre le RPR de Jacques Chirac qui, dans un premier temps, le 12 novembre 1976, présenta la candidature du député de Paris Christian de La Malène, proche de Michel Debré, puis, dans un second temps, le 19 janvier 1977 sur TF1, sa propre candidature, voyant tout l'intérêt politique d'une telle bataille politique à un an des élections législatives de mars 1978. Michèle Cotta sur Jacques Chirac : " La première fois qu'il a pensé à se présenter, m'assure Yves Guéna, c'est fin novembre-début décembre 1976, lorsqu'il lui est apparu que la majorité, avec d'Ornano, irait à la catastrophe dans la capitale. Mais, à l'époque, en y réfléchissant, il avait rejeté cette solution. (...) Je n'exclus pas que ce soit paradoxalement Giscard, en insistant dans sa conférence de presse sur la personnalisation nécessaire du maire de Paris, qui lui ait donné l'idée, cette dernière semaine, de déclarer sa propre candidature. ".
Deux jours auparavant, effectivement, lors de sa conférence de presse du 17 janvier 1977, le Président Giscard d'Estaing a présenté l'enjeu de ces élections municipales : " Il poursuit sa démonstration : l'élection du maire de Paris revêt une importance essentielle ; le maire de Paris gère un budget de 7 milliards de francs. "Il y a donc, insiste Giscard, une chose qui n'est pas possible : de mettre les Parisiens dans la situation de voter aux municipales sans savoir qui sera le maire de Paris". Voilà pourquoi le nom de Michel d'Ornano a été jeté en pâture aux électeurs en novembre dernier. Et de quelle abrupte façon ! " (Michèle Cotta).
Le 26 janvier 1977, VGE a chargé Raymond Barre de tenter une médiation pour avoir une candidature commune de la majorité à Paris, sans succès. Au fil de la campagne, la candidature de Michel d'Ornano semblait avoir de moins en moins de chance tandis que celle de Jacques Chirac était de plus en plus prise au sérieux. Au second tour des élections municipales du 21 mars 1977, le verdict fut annoncé : dans un climat de forte victoire des listes d'union de la gauche dans tout le pays, la victoire de Jacques Chirac à Paris a renforcé le sentiment que VGE avait tout perdu. Pire, Michel d'Ornano, qui s'était présenté dans le 18 e arrondissement au lieu du 17 e comme prévu, a même été tellement battu par la liste d'union de la gauche menée par un communiste et composée notamment de Lionel Jospin et Claude Estier, qu'il n'a même été pas élu au conseil de Paris ! Camouflet sur toute la ligne.
Néanmoins, avec la refondation du Parti républicain au congrès de Fréjus le 19 mai 1977 et avec la création de l'UDF (composée des partis non gaullistes de la majorité, PR, CDS, radicaux) le 1 er février 1978, VGE a finalement réussi à gagner les élections législatives de mars 1978... mais pas l'élection présidentielle de 1981.
En octobre 1982, le Parti républicain s'est doté d'une nouvelle direction plus jeune et dynamique avec l'arrivée aux commandes de François Léotard, "poulain" de VGE. L'influence des membres fondateurs, en particulier Michel d'Ornano et Jean-Pierre Soisson, s'est alors considérablement réduite.
Après son grand échec parisien en 1977, Michel d'Ornano fut d'autant plus antichiraquien que Jacques Chirac ne cessait pas de s'opposer aux initiatives du gouvernement de Raymond Barre et fut même considéré comme le responsable de la défaite de Valéry Giscard d'Estaing face à François Mitterrand le 10 mai 1981. Cette animosité contre le président du RPR lui fit renoncer à un nouveau ministère lors de la victoire de la coalition UDF-RPR le 16 mars 1986. En effet, formant le premier gouvernement de la cohabitation, Jacques Chirac proposa à Michel d'Ornano, homme qui comptait encore localement dans la vie politique, le Ministère de la Justice. Jacques Chirac avait initialement proposé ce ministère à Valéry Giscard d'Estaing lui-même qui n'acceptait de revenir au gouvernement après l'Élysée que s'il obtenait un grand Ministre de l'Économie, des Finances et du Redressement national.
Michel d'Ornano refusa la Justice pour plusieurs raisons qu'il aurait dites au nouveau Premier Ministre : " Je ne veux pas de compensation au fait que Giscard ne rentre pas dans le gouvernement. Et je sais bien qu'il n'y aura pas de partage des responsabilités dans ce gouvernement, puisque tu as pris pour ton parti, le RPR, les Finances, l'Intérieur, les Affaires étrangères, c'est-à-dire les trois postes de commande, ce qui ne s'est jamais vu sous la droite au cours de la Ve République. " (selon l'historien Pierre Favier). En fin de compte, un autre gaulliste, Albin Chalandon fut nommé à la Justice.
Depuis l'échec de l'élection présidentielle de 1988, Michel d'Ornano travaillait donc aux côtés de VGE pour la reconquête de son électorat avec l'horizon des élections législatives de 1993 et l'élection présidentielle de 1995. Le destin, parfois stupide toujours cruel, l'a empêché d'aller jusqu'au bout...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 mars 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Michel d'Ornano.
Gérard Longuet.
Jacques Douffiagues.
Jean François-Poncet.
Claude Goasguen.
Jean-François Deniau.
René Haby.
Charles Millon.
Pascal Clément.
Claude Malhuret.
Pierre-Christian Taittinger.
Yann Piat.
François Léotard.
Valéry Giscard d'Estaing.
Antoine Pinay.
Joseph Laniel.
Michel d’Ornano, loyauté giscardienne et suzeraineté normande
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