Traduit de l'Américain en 2020 et publié aux éditions Quai Voltaire, Retour à Martha's Vineyard est un de ces romans qui donnent l'impression (l'illusion ?) de comprendre un tout petit peu mieux cet étrange pays, devenu si incompréhensible, que sont les États-Unis - comme les romans de Richard Ford.
Trois garçons, amis d'Université, s'étaient réunis pour la dernière fois dans la maison de vacances de l'un d'eux, Lincoln ; avec eux se trouvait le "4ème mousquetaire", la belle Jacy. On était en 1971. Deux ans auparavant, ils avaient tiré au sort leur mobilisation pour partir au Viet-Nam ; et Mickey, le fils de prolo, avait tiré le n° 9... Les deux autres, Teddy et Lincoln, étaient moins menacés de partir, ayant tiré de meilleurs numéros. Ils avaient achevé leur diplôme, et avaient organisé cette soirée d'adieu. Et, à l'issue du week-end, Jacy avait dispary, sans que personne ne sache jamais ce qu'elle était devenue.
Plus de quarante ans plus tard, les trois amis, devenus sexagénaires, se retrouvent pour un ultime rendez-vous ; Lincoln est devenu agent immobilier, plutôt riche - il a échappé de justesse à la ruine pendant la crise de 2008 ; Teddy est éditeur et toujours célibataire : un accident de jeunesse l'a privé de toute possibilité de séduire une femme. Quant à Mickey, il est resté fidèle à lui-même, musicien de rock, motard... Et bien entendu, tous trois sont obsédés par la disparue.
C'est Mickey, finalement, qui donnera la clé du mystère, véritable plongée dans l'horreur des familles bourgeoises américaines, fondées sur l'apparence et le mensonge : Jacy en a été victime toute sa vie.
À travers ces personnages attachants, transparaît une Amérique très sombre, crispée sur un ordre social rigide, où derrière une morale de façade (les "sœurs" de Jacy à l'Université veillent jalousement sur sa vertu...) se cachent les pires turpitudes... Le père adoptif de Jacy se révèle à la fois incestueux et escroc, tandis que sa mère ferme les yeux sur ce qu'il fait ; le voisin, un chef d'œuvre de vulgarité, vote pour Trump, les femmes n'ont d'autre perspective que d'épouser sans amour un homme qui ne leur apportera rien en sacrifiant leur propre carrière...