Injustice pour Nicolas Sarkozy ?

Publié le 04 mars 2021 par Sylvainrakotoarison

" Je ne tomberai pas dans le piège d'un combat politique contre une institution que je respecte. " (Nicolas Sarkozy, le 3 mars 2021 sur TF1).

A-t-elle été contreproductive, cette colère exprimée à la télévision de l'ancien Président de la République ? En tout cas, elle a montré au moins sa combativité ("malgré l'âge"), sa sincérité et surtout, son sentiment d'extrême injustice. Deux jours après sa condamnation à trois ans de prison dont un an ferme pour corruption active par le tribunal judiciaire de Paris, Nicolas Sarkozy s'est exprimé dans le journal de 20 heures sur TF1 ce mercredi 3 mars 2021. Opération médias pour montrer sa détermination à faire reconnaître son innocence ("à faire éclater la vérité"), démarrée dès la veille au soir par un entretien au "Figaro" paru le lendemain matin.
Ceux qui veulent analyser avec le seul prisme politique ce qui se passe actuellement pour Nicolas Sarkozy se trompent. Certes, et cela est un véritable problème, s'il y a bien un homme (en dehors de l'actuel locataire de l'Élysée, quel qu'il soit puisqu'il est maintenant toujours ultradétesté par une partie de la population depuis une quarantaine d'années) qui ne laisse pas indifférent, c'est bien Nicolas Sarkozy.
Alors, le juger sans prendre en compte ses sentiments, ressentiments, adhésion ou répulsion éventuels, c'est peut-être plus difficile qu'un autre justiciable, sinon impossible pour un juge qui n'en est pas moins une personne faillible, un homme (ou une femme), un citoyen, voire, pour certains, un militant puisque parmi les magistrats qui se sont "occupés" de l'ancien Président, un est membre d'un syndicat très politisé, un autre a été membre du cabinet de Ségolène Royal qui était sa rivale en 2007.
Malgré cela, Nicolas Sarkozy a refusé de parler de "justice politique" et il a eu raison. Cela n'ôte rien au sentiment d'incompréhension sinon d'injustice que suscite le verdict du 1 er mars 2021. Tout, dans ce jugement, a de quoi scandaliser les défenseurs d'un État de droit.
Nicolas Sarkozy a pointé au moins trois incompréhensions.
La première, c'est qu'il a contesté le "faisceau d'indices" évoqué dans le jugement. Il n'y a pas un faisceau, selon l'ancien Président, mais juste des écoutes téléphoniques. Aucun autre "indice". Et aucune preuve. Ou plutôt, la preuve qu'il n'y a pas eu favoritisme, ni aide d'un côté comme de l'autre (dans la corruption, l'un apporte quelque chose à l'autre et réciproquement). Et le pire, car à mon avis, c'est le point inquiétant, on ne condamne jamais sans preuve. Un indice n'est pas une preuve. Le bénéfice du doute doit toujours bénéficier à l'accusé. Le premier principe quand on forme un juge, c'est de dire qu'il est préférable de laisser libre un éventuel coupable à condamner un innocent.
La deuxième incompréhension, évidemment, et qui, comme la première, pourrait concerner tout citoyen, tout justiciable, c'est le principe d'une écoute téléphonique entre une personne mise en examen et son avocat. Le principe de défense est complètement bafoué. C'est exactement comme si l'on avait installé des micros dans le cabinet de l'avocat. La Cour de Cassation a dit que c'était légal. Soit. Alors, peut-être faudra-t-il modifier la loi.
La troisième incompréhension, enfin, est particulièrement singulière pour un ancien Président de la République qui avait encore des activités politiques : que le leader de l'opposition fût sur écoute téléphonique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sept, avec des rapports directement adressés au gouvernement (les ministres concernés), connaître les interlocuteurs français et étrangers d'un ancien Président de la République, pourrait faire passer la France pour une république bananière s'il n'y avait pas eu un précédent avec les écoutes téléphoniques réalisées par François Mitterrand pour convenances personnelles (préserver.le secret de l'existence de sa fille). Quand j'écris "gouvernement", il s'agit bien sûr du mandat de François Hollande, car le Président Emmanuel Macron a montré une prudente neutralité dans ce dossier.
À cela s'ajoute d'autres incompréhensions. Par exemple, Nicolas Sarkozy a insisté pour dire qu'il n'a rien reçu, ni informations, ni dérogations, ni argent, et la personne susceptible d'avoir été corrompue n'a eu aucune promotion, aucun poste convoité (du reste, Nicolas Sarkozy n'avait lui-même fait aucune démarche pour cela, et donc, sur la seule foi d'une conversion téléphonique, c'est un peu court pour envoyer quelqu'un en prison, aussi détesté soit-il).

Le fondateur du parti Les Républicains a continué sur sa lancée, de manière probablement contestable mais peut-être très parlante sinon convaincante. Dans cette affaire, il n'y a eu aucun argent lésé, aucun trouble public. Aucune personne physique ni personne morale n'a été lésée. En revanche, les 220 heures d'auditions, les 5 000 heures de conversations téléphoniques, les dix ans de procédures, Nicolas Sarkozy est allé jusqu'à parler des deux salles d'audience occupées pour l'occasion (sans compter le grand nombre de journalistes mobilisés), le nombre de magistrats dans cette affaire, bref, Nicolas Sarkozy, dans un esprit assez américain, a demandé combien cela coûtait aux Français. C'est contestable évidemment puisque la justice doit faire son travail quel qu'en soit son coût et son enjeu, mais on pourra quand même se poser la question du : pourquoi dépenser tant de moyens pour rien sinon par... ?
Parler d'acharnement ou de harcèlement judiciaires, est-ce raisonnable ? Si j'ai bien écouté, il n'en était pas question dans l'interview de Nicolas Sarkozy si ce n'est qu'il a quand même rappelé que beaucoup de juges cherchaient à le "coincer" depuis dix ans et que jusqu'à maintenant, ils n'ont rien eu de très concret. Il a évoqué une autre affaire au jugement prévu dans deux semaines, le 17 mars 2021, et il a rappelé que l'un des deux juges avait refusé de signer l'ordonnance de renvoi au tribunal, ce qui prouve déjà qu'il y a très peu d'éléments ne serait-ce que pour en faire un procès.
Par ailleurs, Nicolas Sarkozy a refusé d'emboîter un mouvement naissant qui demande la dissolution du Parquet national financier (PNF), créé en catastrophe par François Hollande après l'affaire Cahuzac. Tout en rappelant malicieusement qu'il a toujours été opposé aux juridictions d'exception et en rappelant aussi que la gauche avait toujours été contre ce principe (il a évoqué les tribunaux militaires, mais plus proche encore, la loi Sécurité et Liberté portée par Alain Peyrefitte en 1980-1981 prévoyait aussi des tribunaux d'exception que la gauche a rapidement supprimés). En clair, Nicolas Sarkozy a refusé de se confronter à l'institution judiciaire elle-même, mais seulement à quelques juges qui n'auraient pas agi selon l'impartialité qui devrait être de règle. Il a même évoqué un règlement de compte interne au sein du PNF dont il aurait fait les frais.
Plus politiquement, Nicolas Sarkozy a mis en garde les juges sur le fait que s'ils sont maîtres du calendrier judiciaire, ils ne sont pas maîtres du calendrier politique. Néanmoins, cette affaire n'aura rien changé à sa décision qu'il avait prise d'abandonner la vie politique et donc, à toute idée de candidature à l'élection présidentielle (cela depuis le 20 novembre 2016 et son échec à la primaire LR). Sans pour autant exclure qu'il sera présent au débat public puisqu'il prendra position d'une manière ou d'une autre pour l'élection présidentielle de 2022 (j'aurais même tendance à dire qu'il aurait pu aller plus loin et avoir envie d'être candidat justement pour affronter les juges, mais je pense qu'il a trouvé un équilibre de vie qu'il ne veut pas rompre, mais qu'un jugement sévère pourrait toutefois bousculer).
Par sa sévérité qui n'est servie par aucune preuve tangible, la 32 e chambre du tribunal judiciaire de Paris a choqué en condamnant à une peine de prison ferme un ancien Président de la République, ce qui est sans précédent. L'actuel Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, invité de la matinale de France Inter le 3 mars 2021, s'est évidemment bien gardé de commenter cette décision de justice, mais a noté que les Français avaient de plus en plus de doutes sur la justice, ce qui le conforte à proposer prochainement une grande réforme de la justice.
Ce qu'on sait par son passé d'avocat, c'est que le garde des sceaux souhaite depuis longtemps responsabiliser les juges : qu'ils aient des comptes à rendre et que lorsqu'ils font des erreurs, des erreurs judicaires, qu'ils soient sanctionnés, exactement comme dans tous les métiers, les coiffeurs qui ratent leur coupe de cheveux, les médecins qui se trompe de rein à greffer, les ingénieurs qui construisent des ponts qui s'écroulent, etc. C'est le seul moyen de laisser aux juges leur indépendance. Pas de liberté sans responsabilité.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 mars 2021)
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Pour aller plus loin :
Injustice pour Nicolas Sarkozy ?
Sarko et ses frères...

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