Un storytelling des approximations s'est développé à l'occasion du Covid. Ce n'est pas que c'est approximativement, plus ou moins du storytelling. Non, c'est pire. C'est l'histoire qui est racontée qui est un récit d'approximations, un storytelling de l'à peu près, donc.
Premier storytelling de l'à peu près : celui de nos gouvernants
Et ça canarde tout azimuth de ce côté.
Qu'est-ce qu'une approximation de langage ? C'est présenter des façons de s'exprimer nouvelles comme étant des normes, des habitudes, quelque chose de normal. Je ne parle pas du mot "confinement". Ni du mot "écouvillon" (encore que, celui-là...) ou encore de la presque drôle "clause de revoyure". On se croirait à l'armée, où des mots jusque là inconnus deviennent très vite des habitudes. Pour le meilleur et pour le pire.
Je parle d'autres traits de langage : "on ferme", par exemple. C'est la menace permanente, brandie une fois par semaine au minimum. C'est très brutal comme expression. Qui est ce "on" ? Et fermer... Fermer la porte, la discussion, le champ des possibles, enfermer ? Se la fermer, aussi ? Plus rien à dire, c'est comme ça épicétou ?
Alors, il y a d'autres termes qui sont utilisés par nos gouvernants. Mais cette expression est devenue très courante, elle s'est banalisée.
Parlons quand même un peu du mot reconfinement. Approximations ici aussi. Quand on est en télétravail obligatoire avec un couvre-feu à 18h, est-ce que ce n'est pas à peu près un autre mot pour dire reconfinement ? Fermer des zones entières de la ville au public, comme à Toulouse, avec une ouverture laissée... à d'autres fermetures de nouvelles zones ultérieures, est-ce que ce n'est pas aussi à peu près du reconfinement ? On reconfine un petit bout de la ville. Au passage, là aussi, on a parlé de "fermer la ville".
Les médecins (notamment ceux qui ont investi les plateaux de télé) ont aussi de ces approximations de langage. Mais eux, on a l'habitude. Bon nombre de médecins ont notoirement des difficultés de communication avec leurs patients.
Et comme nous sommes tous, autant que nous sommes, devenus des patients au cours de l'année écoulée... A peu près.
"Il faut voir comme on nous parle...", chante Alain Souchon.
On pourrait parler de beaucoup de choses, comme par exemple de la communication sur les masques (pas utiles - un peu utiles - passionnément utiles...). Mais je vais plutôt parler d'un épisode plus récent, une prise de parole de Jean Castex. Oui ces prises de parole périodiques qui installent à peu près des rituels avec nous.
Une approximation lors de cette intervention : le drapeau français présenté à l'envers. A peu près juste, à une inversion près. Mais ce n'était pas tout.
Lors de cette même prise de parole, il a été annoncé que la France avait le meilleur taux de vaccination des personnes très âgées et très exposées au virus. Ce que les Décodeurs du Monde se sont empressés de vérifier.
Hélas, nous ne sommes en réalité que 10e et non pas premier. D'autres pays étaient comparés avec la France, et nous étions soit disant devant eux. L'Allemagne, dont les chiffres extrapolés lors de la conférence de presse de Jean Castex n'étaient pas les bons : en vrai, nous sommes au même niveau que l'Allemagne. L'Italie : alors que ce pays vaccine en priorité les moins de 70 ans (pour la pertinence de la comparaison, on repassera donc).
Un autre exemple ? Emmanuel Macron qui répond à un jeune qui lui demande quand le couvre-feu pourra être assoupli : "il faut encore tenir 4 à 6 semaines". Assez marseillais, déjà, comme estimation. Mais ça c'est juste l'apéritif. Le plat principal est la traduction, quelques heures plus tard, par le service presse de l'Elysée : le président parlait des vaccins. Lui même avait d'ailleurs dit : "4 à 6 semaines mais je ne me fixe pas de calendrier". Summum de l'à peu près...
Deuxième storytelling de l'à peu près : celui des médias
Ah, les médias... Champions de l'à peu près également.
Quand ils invitent des médecins qui annoncent l'apocalypse et reviennent quelques jours plus tard en annonçant tout autre chose. Voire en disant le contraire. Ou ce médecin, invité le matin, et qui dit craindre le pire parce que les enfants vont bientôt être en vacances, qui laisse la place à un autre le soir, prédisant le pire quand les vacances scolaires seront terminées. La palme revenant quand même à une de ces stars annonçant l'apocalypse imminent, mais qui répond aux objections que le cataclysme n'est pas là : "mais je n'ai pas dit quand il va arriver". Guignol, va !
Le meilleur, ce sont les médecins eux-mêmes, sur les plateaux télé : l'un d'entre eux a quand même réussi à venir expliquer qu'il n'avait pas dit quand l'apocalypse prédit allait arriver et qu'il avait bien le droit de se tromper...
Sur l'analyse des confinements dans les autres pays, aussi. Ainsi le strict confinement anglais, sans plus de précisions. Sauf qu'il est très peu contrôlé. Que les Anglais ont le droit de se déplacer dans le périmètre local, mais que ce périmètre n'a pas été défini. Donc, Boris Johnson peut faire du vélo à 11km de chez lui, puisqu'il est toujours dans sa commune...
C'est environ de l'info, un storytelling de l'à peu près, pas très utile, du coup.
Troisième storytelling de l'à peu près, celui des médecins
On attend plutôt des médecins de l'expertise rationnelle. Du bon sens, aussi. Après tout, ils sont là pour ça. Je ne parle pas des soignants de terrain. Je parle des pontes : infectiologues, virologues, épidémiologistes et que sais-je encore...
Les voilà maintenant à brandir la stratégie zéro Covid. C'est simple. Il suffit de confiner, d'attendre que le taux de circulation du virus baisse et, probablement, que cela ira mieux. Probablement, à peu près. On oublie juste de nous dire que pour que ça marche, il faut que toute l'Europe, voire le monde disent certains, se mette d'accord là dessus. Et que de nouvelles restrictions des libertés soient acceptées. Bah, en Corée du sud, le gouvernement contrôle bien les dépenses sur les cartes de crédit des habitants pour vérifier qu'ils respectent bien leur isolement. Facile. On nous dit à peu près tout, sauf que là où ça a le mieux marché, c'est sur des îles, (Nouvelle Zélande, Singapour...) avec peu d'habitants. Un détail, à peu près rien...
Pourquoi ce storytelling de l'à peu près est néfaste
Je me demande si tout cela n'est pas voulu. Je parle de ce storytelling. Un storytelling du flou. On ne donne pas de cap. On donne dans le Cap Horn. Quelle en serait la logique : tenir le public en haleine perpétuelle ? Ce serait au moins un objectif storytelling. Mauvais et inefficace (le public a-t-il l'air d'être en haleine ? Lassé, plutôt), mais au moins...
Si c'est voulu, c'est juste de la com. De la vieille. Celle qui répond surtout à un objectif d'occuper le terrain. De retomber sur ses pieds. De la communication politique, quoi ! Passons, de toute façon, on passe sans s'arrêter devant...
Alors, donc, il est où le mal ?- La perte de confiance : pour ce qui en restait... Comment avoir confiance en des gens qui font dans l'à peu près. Oui, bien sûr, nous sommes dans l'ère de l'agilité et bla et bla et bla... Mais là, ça va plus loin.
- La déchéance de l'expertise. Ou ce qui en restait... A qui se fier quand les "sachants" jouent au chat et à la souris pour ne pas perdre la face ?
- Une culture de la médiocrité : si l'approximation est la règle dans la sphère publique, pourquoi ne deviendrait-elle pas la norme partout ? Après tout, on s'est bien habitué à avoir des relations de travail dégradées, un management à la wannagain, un accès erratique à distance aux serveurs informatiques de son entreprise...
Bref, c'est bien plus porteur en conséquences structurelles qu'une simple opération de communication. C'est effrayant, et ce n'est pas du tout le storytelling que, moi, je pratique.