Discrimination : Les Mbororos en marge des plages médiatiques au Cameroun

Publié le 04 mars 2021 par Tonton @supprimez

Les activités et cérémonies culturelles des Mbororos sont rarement couvertes et diffusées par les journalistes.

Cette situation se traduit par un impact négatif sur le droit des Mbororos à la préservation de leur identité et dignité collectives. « Mbororos debout ! On écrit nos noms en lettre d’or chez nous au Cameroun. Ensemble pour la paix et l’émergence.» Ahmadou Ahidjo Yerima croit qu’il est temps de sortir les membres des communautés Mbororos du Cameroun de l’ombre pour les mettre dans la lumière… Suite à l’édition 2021 de l’ascension du Mont Cameroun, course à pied de 42 kilomètres, qui s’est déroulée le samedi 27 février, et qui a été remportée par Ali Mohamadou, un Mbororo résidant à Kumbo dans la région du Nord-Ouest, Yerima est en fête. Tout comme les quelques rares personnes au sein de ce groupe ethnique qui ont le privilège de pouvoir comprendre l’une des deux langues officielles du Cameroun, le français ou l’anglais, et de suivre les actualités nationales et internationales.

Ce sentiment de joie a été provoqué par les images du sacre de cet athlète, diffusées sur les ondes de la chaîne à capitaux publics, l’office de radio et diffusion du Cameroun (Crtv) Une diffusion perçue par bon nombre des membres de cette communauté comme quelque chose « d’exceptionnel et d’inédit ». « Il est bien rare qu’une manifestation ou activité culturelle des Mbororos soit couverte et diffusée par la Crtv et autres médias. C’est comme si les journalistes et hommes de médias n’ont pas de considération pour les choses qui concernent les Mbororos. C’est très rare qu’une de nos assemblées culturelles soit suivie par les journalistes des médias à capitaux publics. Plus grave, ceux dites de la presse privée exigent le paiement de certains frais de couverture avant diffusion. Et pourtant, les médias doivent être des instruments de promotion de la diversité et de la vivacité culturelle du Cameroun », dénonce Amadou. Membre de la communauté Mbororode Bafoussam et responsable des projets au bureau régional de la Mbororo Cultural Association, en abrégé Mboscuda, il fait partie de ceux qui, au quotidien, ont le courage de dénoncer la marginalisation des membres de cette communauté en voie de sédentarisation dans les huit départements de la région de l’Ouest.

Pas connectés aux réalités

Inscrit au rang des jeunes scolarisés de cette communauté, Abdou, ancien étudiant en histoire et géographie à l’université de Dschang et déplacé interne de la crise anglophone, actuellement basé à Fongo-Tongo, affirme que cette marginalisation est plus profonde. « Le signal de la Crtv n’arrive pas dans plusieurs campements logés au sommet des chaînes montagneuses. Il est difficile pour nous, jeunes Mbororos, d’avoir en temps réel des informations sur les opportunités de formation professionnelle ou d’emploi. Tout comme sur les nouveaux savoirs qui devraient contribuer à l’amélioration de nos conditions de vie et à la préservation de notre santé. De nombreux campements ne sont pas couverts par le réseau des principaux opérateurs de téléphonie mobile. Ce qui fait que même par facebook ou watsapp, les membres de nos communautés ne sont pas informés. Ils vivent coupés du monde entier.

C’est comme si nous vivions en marge de la mondialisation. Ces nouveaux médias auraient contribué à nous valoriser et à nous positionner mondialement, nonobstant le black-out récurrent des médias classiques», déplore-t-il. « Nous sommes dérangés de constater qu’il n’ y a pas les échos de nos campements dans la presse camerounaise. C’est comme si ce que nous vivons ou exprimons ne sont pas des sujets médiatiques. C’est parfois choquant de regarder la télévision ou de suivre la radio sans voir des visages des membres de notre groupe ou de suivre l’écho de leurs voix. Nos rythmes de danse, nos chansons, nos vécus culturels sont rarement diffusés dans les médias. C’est comme si nous étions des hommes et des femmes sans culture et sans civilisation. En fait, c’est comme si la nation camerounaise n’avait pas besoin du patrimoine culturel Mbororo pour son enrichissement», relate-t-il.

Défaillance

Le programme en langue fulfubé produit et présenté par des Mbororos sur les antennes de la station régionale de la Crtv Ouest à Bafoussam connaît des balbutiements et est même régulièrement absent sur les ondes. « Nous tenons à la promotion des langues et cultures locales, sans aucune discrimination. Dans notre grille des programmes, il y a des espaces quotidiens pour des informations en 12 langues. Le Fulfubé fait partie de nos options. Nous avons désigné un membre de la communauté Mbororo pour animer cette tranche d’antenne. Si ça ne passe plus, la défaillance viendrait de lui et non de la Crtv », explique André Aristide Ekoumba, directeur de l’information à la station régionale de la Crtv Ouest à Bafoussam. De nombreux journalistes rencontrés à Bafoussam avouent être peu enclins à suivre les activités culturelles des Mbororos, même lorsqu’ils sont sollicités par Mboscuda. Ils soulignent la difficulté d’échanger avec leurs interlocuteurs Mbororos qui, pour la plupart, ne savent s’exprimer en aucune des deux langues officielles, langues de travail pour les hommes et femmes de la presse. « Ils parlent plus le Fulfubé et parfois le « pidginenglish ». Cela rend pénible la collecte des informations auprès de ces personnes.

Nous n’avons rien contre leur culture. Mais nous faisons avec. J’ai forcé pour valoriser les Mbororos dans leur culture tout en les inscrivant dans la modernité républicaine. J’ai parcouru des campements lointains, échangé avec des familles, et me mouler à eux, mais à chaque fois j’ai compris qu’ils étaient sournois, méfiants et reclus », analyse madame Kouam, cadre du ministère des Affaires sociales à Bafoussam. Amadou n’est pas de cet avis. Il pense que ce sont les autres Camerounais qui refusent de « vivre ensemble » avec les Mbororos :«Je suis né dans l’arrondissement de Galim, il y a près de 50 ans. Mes parents s’y trouvent. Aujourd’hui, je suis confortablement installé dans la ville de Bafoussam où je mène mes activités professionnelles et je me déploie comme militant politique et conseiller municipal depuis 25 ans. Je suis gêné de voir des gens vouloir toujours me percevoir comme nomade ou allogène. Alors que tous mes repères historiques et culturels sont liés à la région de l’Ouest. Mais je suis toujours perçu comme un étranger», s’indigne-t-il, en dénonçant cette marginalisation.

La responsabilité de l’Etat

Spécialiste en droit privé international et avocat au barreau du Cameroun, Me Julio Koagne pense qu’avoir les Mbororos au Cameroun devrait, au plan culturel, être un ingrédient de l’intégration sous-régionale au niveau de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale. Car c’est l’un des rares peuples transfrontaliers. On retrouve les Mbororos au Nigeria, en Républicain Centrafricaine et au Tchad, pays voisins du Cameroun. Le juriste interpelle la responsabilité des autorités étatiques en matière de promotion et de valorisation de la culture Mbororo, notamment dans les médias. Il plaide pour le respect de l’identité et de la dignité collective des Mbororos. Il rappelle ainsi l’article 13 de la déclaration des droits des peuples autochtones de l’Organisation des nations unies(Onu) qui indique que les Etats doivent veiller à ce que les langues et cultures des peuples autochtones soient vivifiées, publiquement divulguées et transmises aux générations futures. Il y a aussi, l’article 27 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce texte prescrit aux Etats la préservation des cultures et religions des groupes minoritaires.

Guy Modeste DZUDIE