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Seamus Heaney – Creuser

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Entre mon doigt et mon pouce
Le stylo trapu repose ; comme un pistolet.

Sous ma fenêtre, le crissement net
De la bêche qui plonge dans le sol caillouteux :
Mon père qui creuse. Je le regarde.

Jusqu’à ce que ses reins tendus parmi les plates-bandes
Se courbent à terre, remontent vingt ans après
Se voûtent en rythme dans les sillons de pommes de terre
Où il creusait.

La grosse botte blottie contre le fer, le manche
Contre l’intérieur du genou était facile à manier.
Il déterrait de hautes tiges, enfonçait loin la lame brillante
Eparpillait les pommes de terre nouvelles que nous ramassions.
Comme nous aimions leur fermeté fraîche dans nos mains !

Pardi, le vieux savait manier la bêche
Juste comme son vieux à lui.

Mon grand-père coupait plus de tourbe en un jour
Qu’aucun autre homme de la tourbière de Toner.
Une fois, je lui ai porté du lait dans une bouteille
Mal bouchée avec du papier. Il se redressa
Pour boire, puis s’y remit aussitôt,
Il taillait et tranchait nettement, balançant les mottes
Par-dessus l’épaule, il descendait de plus en plus bas
Vers la bonne tourbe. Il creusait.

L’odeur froide de la terre remuée, le gargouillis
De la tourbe détrempée, les courtes entailles d’une lame
Au travers de racines vivantes s’éveillent dans ma tête.
Mais je n’ai pas de pelle pour suivre de tels hommes.

Entre mon doigt et mon pouce
Le stylo trapu repose.
Je creuserai avec.

*

Digging

Between my finger and my thumb
The squat pen rests; snug as a gun.

Under my window, a clean rasping sound
When the spade sinks into gravelly ground:
My father, digging. I look down

Till his straining rump among the flowerbeds
Bends low, comes up twenty years away
Stooping in rhythm through potato drills
Where he was digging.

The coarse boot nestled on the lug, the shaft
Against the inside knee was levered firmly.
He rooted out tall tops, buried the bright edge deep
To scatter new potatoes that we picked
Loving their cool hardness in our hands.

By God, the old man could handle a spade.
Just like his old man.

My grandfather cut more turf in a day
Than any other man on Toner’s bog.
Once I carried him milk in a bottle
Corked sloppily with paper. He straightened up
To drink it, then fell to right away
Nicking and slicing neatly, heaving sods
Over his shoulder, going down and down
For the good turf. Digging.

The cold smell of potato mould, the squelch and slap
Of soggy peat, the curt cuts of an edge
Through living roots awaken in my head.
But I’ve no spade to follow men like them.

Between my finger and my thumb
The squat pen rests.
I’ll dig with it.

***

Seamus Heaney (1939-2013)Death of a Naturalist (Faber & Faber, 1966) – Poèmes, 1966-1984 (Gallimard, 1988) – Traduit de l’anglais par Anne Bernard Kearney et Florence Lafon.


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