Deux perspectives complémentaires encouragent les institutions financières à envisager une telle diversification. D'un côté, elles cherchent activement comment mettre à profit les gigantesques quantités de données qu'elles collectent et hébergent, notamment celles de leurs clients. D'autre part, elles estiment que la confiance qu'elles ont acquise avec la gestion d'une catégorie d'information spécifique, à savoir l'argent, leur procure une légitimité presque naturelle à étendre leur champ d'action sur d'autres domaines.
Sur ces fondations, Toby Norton-Smith propose donc à la banque de développer une véritable activité de conservation et de distribution de données (qui, incidemment, m'interpelle particulièrement car elle figurait au cœur de notre participation, avec Svetlana, à la finale d'un concours Open Talent de BBVA en 2017). Il s'agirait de fournir aux clients, entreprises ou grand public, une sorte de coffre-fort où ils stockeraient leur vie « digitale » et en accorderaient l'accès à des tiers sélectivement et selon leur bon vouloir.
De multiples arguments viennent appuyer la pertinence du concept. En premier lieu, nos interactions permanentes avec une multitude de services numériques conduisent à une dispersion d'informations personnelles, avec tous les risques associés de fuite, de détournement, d'usage frauduleux… Dans ce contexte, la possibilité de centraliser cette matière première dans un espace sécurisé, dont les entrées et sorties sont strictement contrôlées et suivies, deviendra progressivement un besoin (un droit ?) universel.
En comparaison des autres entités susceptibles d'offrir des solutions (toutes celles qui captent et exploitent à grande échelle des données individuelles sur les populations), la banque possède des qualités différenciantes. Ainsi, les organismes gouvernementaux ont tendance à se focaliser sur leurs propres services, évitant les intrusions dans l'univers privé, tandis que les géants du web, aujourd'hui en pointe, sont menacés par la montée des inquiétudes chez les consommateurs et les velléités de réglementation.
A contrario, quelle que soit la satisfaction vis-à-vis des institutions financières, leur fiabilité en ce qui concerne la protection de l'argent et, par extension, des données n'est aucunement remise en cause. Elle sort même renforcée, implicitement, par la conscience des contraintes juridiques auxquelles elles sont soumises. En parallèle, la meilleure connaissance de leurs clients ainsi accumulée représente une opportunité extraordinaire de mieux remplir leur mission de conseil, qu'il vaut de défendre.
Face à ces promesses, subsiste la question de la mise en œuvre. À ce stade, les explorations visent en priorité les usages et la plupart s'avèrent maladroites car conçues dans un but de monétisation directe. Au-delà de l'alignement de ces efforts avec les attentes des clients, le plus difficile sera toutefois de mettre un pied dans un marché ultra-sensible, combinant approche purement technologique et ingérence dans l'intimité. Les banques ont l'expérience pour elles mais auront-elles le courage de se lancer ?