(Note de lecture), William Cliff, Matières fermées, par Alexandre Ponsart

Par Florence Trocmé


Une couverture sobre – blanche et bleue – avec un bandeau en noir et blanc sur laquelle figure l’auteur avec en arrière fond une route. Étymologiquement la route, rute signifie la « voie, la direction » que l’on doit suivre pour ne pas « s’écarter du chemin ». Suivons cette direction qui nous guidera tout le long de Matières fermées.
Huit liasses composées de deux cent dix-sept sonnets viennent retracer la vie de William Cliff. Tout commence par « Me voilà déjeté, misérable séquelle (…) et lancer dans la vie » et se termine avec « Las ! tel est notre sort sur cette terre amère ». L’histoire d’une vie ou plus précisément l’histoire de la vie. L’existence n’est jamais statique et les différents sonnets de ce livre en sont le témoin : sonnets shakespeariens (4/4/4/2), sonnets inversés (3/3/4/4) ou encore des quatrains avec sizain intercalé (4/3/3/4). Ces différents poèmes retracent la jeunesse de l’auteur : « Mais au collège quelqu’un affirma que j’aurais été ‘offusqué’ en voyant telle chose (…) Notre mère aimait entendre l’accent traînant que nous avions en faisant notre parlement » ; « Mon oncle avait un côté tout à fait flamand, c’est-à-dire actif, c’est-à-dire qui ne craint point de se commettre à un travail un peu rude » ; « j’étais timide », « j’étais bête », « tel était mon état d’esprit, ce n’est pas drôle d’être obligé de supporter ce triste rôle ». Avec Cliff, les rencontres avec les autres, les inconnus occupent toujours une place importante. « Cependant ‘l’autre’ avance ses pions », « Matias », « Grâce à l’écrivain McGuinness, je rencontrai dans un pub ses amis », « par hasard une femme qui passait tout près constata mon état et prévint la police » ou encore « Yvonne était blafarde, très pâle de peau ».
Avec autant de rencontres pourquoi Matières fermées ? La réponse se trouve dans le sonnet 59 : « parce qu’étant vraies elles ne sont pas ouvertes et conservent ainsi leurs puissances innées (…) Ô matières Fermées de la vie récurrente, vous voilà donc données à lire dans ces pages où l’on verra sans doute quelques miens voyages et les trépignements de mon corps sur la terre. »
Et toujours le temps qui passe « parce que le temps est un fleuve sur sa pente qui emporte dans ses flancs » tous ceux qui nous ont aimés. En effet, « il n’y a pas longtemps nous possédions un corps que l’on aimait aimer pour son bel appareil, mais ceux qui aimaient l’aimer ne sont-ils pas morts emportés par ce fleuve ? » L’auteur entretient un rapport particulier avec le temps et les effets qu’il peut engendrer. « Ah ! l’accablement du déroulement du temps ! » ; « Ah ! la répétition des jours de la semaine ! ce jeudi qui viendra demain et qui pourtant mourra sous le prochain vendredi qui s’amène ! ». Ici, une citation de Bossuet me vient à l’esprit : « la vie humaine est semblable à un chemin dont l’issue est fatale. » Nous retrouvons cette route et cette fatalité du temps qui fait que « n’importe où s’en aller ? n’importe où s’enferrer ? » la fin du chemin reste la même.
À la fin, l’auteur remercie ses parents : « soyez bénis, vous mon père et ma mère qui m’avez jeté dans ce pays de malheur », « vous qui m’avez permis de vivre et d’être encor parfois aimé de quelqu’un d’autre ». Car dans une vie, il arrive que certaines rencontres donnent lieu à des moments magiques : « il me semblait qu’il désirait que je fasse l’amour avec lui et que je sois son amant ». Et puis, avec le temps : « je garde le souvenir de son visage qui me faisait rêver de rester avec lui pour que nous nous aimions le restant de notre âge. »
Alexandre Ponsart

William Cliff, Matières fermées, La table ronde, 2018, 256 pages, 16€
Extrait :
« La vie réelle de l’homme gît en lui-même. »
a écrit Senancour, et n’a-t-il pas raison ?
ne nous faut-il pas être à nous-même un poème ?
malgré tous les décours de la situation ?
Et regardez comment a fait Jacques Izoard
à travers les astreintes de son dur métier,
n’a-t-il pas consacré chaque soir à son art
ce qui lui permettait à nouveau d’exister ?
Chaque soir il reprenait avant de dormir
son cahier où il écrivait sa poésie
afin de ne point manquer à son existence,
et nous poètes ne devenons-nous pas écrire
pour nous éviter de nous enfoncer au pire
en nous oubliant dans une coupable absence ?