Parmi les innovations apportées par la réforme des institutions, le référendum d'initiative conjointe, grâce auquel un cinquième des parlementaires et un dixième du corps électoral pourront solliciter les suffrages de l'ensemble des citoyens, semble être la pus consensuelle et donc la plus célébrée par l'opinion. Les micro-trottoirs n'ont bien sûr aucune valeur journalistique, mais dans celui publié par Le Parisien, mardi, trois des cinq personnes interrogées le mentionnaient comme la mesure importante adoptée à Versailles.
À tout le moins, ce micro-trottoir indique que les journalistes qui l'ont réalisé ont voulu signifier à leur lectorat que c'était cet aspect de la révision de la Constitution qui était considéré comme le plus important par les citoyens.
Il ne s'agit pas ici de revenir sur l'incohérence du Parti socialiste, qui a préféré rejeter une évolution qu'il réclamait depuis longtemps. Car le fait que cette réforme soit une revendication de longue date des gauches française et européennes ne laisse pas de rendre défiant quant aux motivations qui la sous-tendent.
Le référendum d'initiative populaire (conjointe seulement, donc, dans le texte voté lundi par le Congrès) vise selon ses promoteurs à remédier aux failles de la démocratie représentative, qui n'exprimerait pas la volonté populaire ni ne répondrait aux attentes des citoyens pour ses détracteurs. En somme, le référendum d'initiative populaire est conçu comme un moyen de lutter contre la verticalité du pouvoir.
Il se distingue en cela fondamentalement du référendum à l'initiative du pouvoir exécutif. Ce type de référendum, que l'on peut qualifier de plébiscitaire, est dénoncé en France depuis les coups d'État de Napoléon Bonaparte en 1799 et de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851. Il avait servi à légitimer l'instauration autoritaire du Consulat, puis de l'Empire et du Second Empire.
En Italie et surtout en Allemagne, le référendum, utilisé aux mêmes fins par Benito Mussolini et Adolf Hitler, a laissé des souvenirs plus amers encore, à tel point qu'outre-Rhin, le référendum est depuis anticonstitutionnel.
C'est donc à un référendum horizontal qu'ont voulu aboutir ceux qui rejetaient dans une même détestation autoritarisme plébiscitaire et démocratie représentative. Sur le principe, une telle démarche n'a rien de choquant, sinon que son idée-force implique qu'en matière politique, toute hiérarchie est suspecte, puisque le pouvoir devrait être exercé, dans l'idéal, par la base du corps électoral, et non par ceux auxquels ce dernier en a délégué la responsabilité.
Mais même en étant opposé au référendum d'initiative conjointe, l'on doit reconnaître qu'il est, sur le principe, démocratique. Ce sont davantage les modalités d'exercice de ce droit devenu constitutionnel lundi dont le caractère démocratique mérite d'être discuté, voire suspecté. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la commission Balladur a tenu à modérer l'ardeur démocratique de cette réforme en la conditionnant à l'accord d'un cinquième des parlementaires. Le problème est que, justement, il ne s'agit que d'un cinquième, soit 182 des 908 parlementaires (577 députés + 331 sénateurs). Il n'est donc pas à exclure qu'un parti, même minoritaire, puisse soutenir un projet de référendum contre l'avis du reste du Parlement. La volonté majoritaire des élus de la Nation n'étant pas requise, la condition imposée par la réforme ne garantit en rien que le texte ne contreviendra pas à aux intérêts de la France.
Qui pourra réunir plusieurs millions de candidatures ?
Et c'est donc le seuil requis (un dixième) pour les citoyens qui doit retenir notre attention. Il y a près de 45 millions d'électeurs en France. Il faudra donc environ 4 500 000 signatures pour qu'un texte puisse être soumis à référendum. La question doit être la suivante : qui sera capable de recueillir plusieurs millions de candidatures ? Qui, sinon des lobbies, des groupes de pression, des communautés, des églises, des corporations, des syndicats, des associations, c'est-à-dire des organismes représentant des intérêts particuliers ?
On peut rétorquer que le vote, et donc la décision finaux, appartiendront toujours au peuple souverain. Reste que l'abstentionnisme qui prévaut lors des scrutins référendaires, comme celui sur la réforme - pourtant capitale - du quinquennat l'a prouvé en 2000, ne garantit pas que des décisions, contraires à la volonté générale et surtout aux intérêts de la Nation, ne pourront être prises à l'avenir.
Sous le prétexte louable de démocratiser davantage les institutions de la Ve République, on risque donc d'aboutir à la prise de lois contrevenant à l'intérêt majoritaire des citoyens, que le Parlement est en principe plus légitime et compétent à exprimer que des pétitionnaires ne représentant que leurs propres intérêts. C'est en conséquence au nom de la démocratie que l'on s'apprête à la court-circuiter.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.