mardi matin entre sept et huit heures
j'ai marché pour aller au bureau
en embarquant dans le trajet
sans connaître à l'avance
les conditions difficiles du terrain
alors qu'il y avait tempête
je ne regarde jamais la météo
je sors dehors
puis je m'ajuste
ainsi au bout de vingt minutes de marche
à escalader les congères aux coins des rues
et à m'enfoncer les bottines
dans trois pouces de neige à chaque pas
je me suis mise à penser
lorsqu'une épreuve est un peu plus difficile
que je l'avais prévue
je me mets toujours à réfléchir
à comment je vais la raconter
et c'est ce qui me fait avancer
je vis le présent
pour l'immortaliser
je venais justement de terminer la lecture
de la première partie du récit yoga
par emmanuel carrère
celle où il raconte sa retraite de méditation
dans un centre dans le morvan
alors qu'il y va secrètement
chercher matière à écrire
et qu'il passe chaque moment à penser
à comment décrire ou raconter ce qu'il vit
plutôt qu'à se concentrer à le vivre
je m'observe sans arrêt
et je me raconte
c'est ce que je fais ici
chaque samedi
j'analyse mon cheminement
je rime mes aventures
j'épelle mes repas
je slamme mes journées
serait-ce que je passe ma vie à méditer
est-ce pour cela
que j'ai un certain détachement
et que je sois épargnée de nombreux drames
je ne sais pas
pourtant je ne suis pas différente des autres
je réfléchis
j'observe
je planifie
je fais
j'ai certainement l'impression de vivre
mais toujours avec distance
à un ou deux mètres de moi-même
en anticipé pour me différer
en relecture continue
ce décalage
me garde sereine
ce n'est pas ma vie
ce n'est qu'une vie
parmi toutes les autres
mais c'est celle
dont je suis la témoin privilégiée.