Roman - 370 pages
Editions Flammarion - août 2019
Editions poche J'ai Lu - août 2020
Prix du roman des étudiants France Culture Télérama
Justine est partie vivre deux ans à Berlin, vivre une vie de prostituée et d'écrivaine, attirée par les mécanismes et la beauté du désir, aimantée par les ambiances capiteuses et les maisons closes, fascinée d'abord par les femmes qui choisissent le métier du plaisir et du don de soi. D'abord au Manège, maison tenue de main ferme, elle observe ses camarades, tente toujours de les comprendre, mais fuit quand la peur devient trop forte et le bénéfice insuffisant au regard du risque et de l'irrespect. C'est alors qu'elle entame une période au sein de la Maison, et ne la quittera avec regrets qu'à sa fermeture.
Ce roman est impressionnant de sincérité, de vie et de passion. Il réussit là sa mission : Emma Becker donne ses mots à ses consœurs qui œuvrent dans l'ombre, dans la nuit souvent, dans l'indifférence méprisante généralement. Sans concessions elle écrit ses expériences, elle décrit les filles avec l'humanité de son regard, en relatant de façon fine ce qui lui a été raconté. Ce n'est pas un livre sur le ton d'un documentaire en immersion, ou vis ma vie de .... C'est beaucoup plus subtil, beaucoup plus tranchant, beaucoup plus rageux aussi. Il y a les hommes qu'on tolère, ceux qu'on oublie, ceux qu'on évite, ceux qu'on craint, ceux qui nous touchent. Elle règle aussi ses comptes avec certains, parce que l'empathie, la modestie, le respect et l'hygiène ne sont des valeurs universelles chez les clients. Mais il y a les femmes, leur force et leur liberté conquise de façon anti-conformiste. Et cela suffit à la motiver pour revenir, pour continuer à écrire, pour s'émerveiller.
Extrait :
"Lorna, ma Lorna, est bâtie aux antipodes de son homonyme. Blonde, élégante, les attaches fines et toujours un chignon impeccable, à peine plus lâche au sortir des chambres, qu'elle transforme en queue-de-cheval après son service. C'est une crinière somptueuse qu'elle a arrêté de laisser libre quand elle a remarqué que les hommes ne pouvaient s'empêcher de la saisir par là - et le nid à bactéries que ça représente, autant de cheveux, quand on passe ses journées inclinée sur l'aine d'une dizaine d'hommes."
Beaucoup de sororité, de bienveillance féminine, l'envie de continuer à décrier le trafic humain, la prostitution de rue par les réseaux, mais d'ouvrir les yeux et appeler à la tolérance pour les maisons closes qui pour certaines d'entre elles offrent des conditions de travail décentes pour des femmes qui s'y rendent par choix, libres d'y rester de longues heures ou non, soutenues face à des comportements abjects, en sécurité, où elles peuvent considérer les autres filles comme des collègues et non des rivales.
Extrait :
"J'aurais dû me regarder dans le miroir en me disant : Voilà ce que tu es, une pute.Jamais, en deux ans, je n'ai eu ce genre de pensée. La donne aurait été sensiblement différente si j'étais restée au Manège, j'en suis bien consciente. Ceci n'est pas une apologie de la prostitution. Si c'est une apologie, c'est celle de la Maison, celle des femmes qui travaillaient, celle de la bienveillance. On n'écrit pas assez de livres sur le soin que les gens prennent de leur semblables."La Maisonsurprend par son courage, sa mise-à-nu, la richesse de ses réflexions. Petit bémol parfois sur la forme, les propos se précipitent, la structure de l'ouvrage parfois en pâtit avec quelques inégalités dans les chapitres. Mais il résonne, résonnera longtemps en moi, et je reste admirative."Bordel, que c'est beau !" - BazaArt
L'avis de Sonia - Sonia boulimique des livres