… J’ai aimé, comme tout le monde. Peut-être est-elle
Encore vivante. Le temps passera jusqu’au jour
– Ce n’est pas encore demain, mais un jour bien plus tard –
Où quelque chose d’aussi grand que l’automne
S’allumera sur la vie comme un ciel que rougit l’incendie
Et qu’attendrit le sous-bois. Sur la sottise des flaques,
Crapauds alanguis par la soif,
Sur les clairières frissonnantes
Comme un lièvre, et qui sont jusqu’aux oreilles
Cousues à la natte des feuilles d’antan,
Sur le bruit qui ressemble au faux ressac du passé…
J’ai aimé comme tout le monde
Et je sais que, depuis toujours,
Les prés mouillés sont mis au pied de l’année.
Au chevet de nos coeurs l’amour dépose
La frissonnante nouveauté des mondes.
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Boris Pasternak (1890-1960) – Par-dessus les barrières (Bordas, 1947) – Traduit du russe par Emmanuel Rais et Jacques Robert.