Titre : Les croix de bois
Scénariste : Jean-David Morvan
Dessinateur : Facundo Percio
Parution : Septembre 2020
En 1919, Roland Dorgelès frôle le prix Goncourt avec « Les croix de bois », un roman qui raconte le quotidien des poilus. Il obtiendra quand bien même le prix Femina et le plébiscite de la critique. Un siècle plus tard, Morvan et Percio lui rendent honneur en mettant en BD ce livre. Mais comment gérer, graphiquement, ce roman ? La guerre, la langue ? Le tout est paru, comme le roman originel, chez Albin Michel. Serait-ce alors une commande de l’éditeur ?
Une mise en images inventive
« Les croix de bois » est une œuvre construite sur des chapitres déconnectés les uns des autres. Si on y retrouve les mêmes personnages, il n’y a pas de lien direct entre chaque scène. Cette construction a permis aux auteurs d’y ajouter leur grain de sel. Ainsi, au lieu de seulement reprendre certaines scènes du roman (il aurait été impossible de tout y ajouter, des choix ont été faits), ils y ajoutent des parties biographiques du Dorgelès. Ainsi, on y voit les « vrais » moments vécus par Dorgelès, pendant la guerre jusqu’à la publication. Y est aussi explicité la construction littéraire (le narrateur et un personnage correspondent à Dorgelès). Ces parties sont plus ou moins pertinentes, mais ce choix évite à la bande-dessinée de n’être qu’une mise en image du roman.
C’est bien avec les soldats que les scènes seront les plus fortes. Elles sont fidèlement retranscrites. La narration est omniprésente pour faire honneur au texte de Dorgelès, ainsi que les dialogues si savoureux. Évidemment, tout est compressé pour entrer en si peu de pages, mais l’image sait aussi dire des choses. On pourrait chipoter sur le choix des scènes, mais sans doute les lecteurs ne sont-ils pas tous touchés par les mêmes situations.
Après avoir lu le roman, j’étais curieux de voir comment certaines scènes seraient retranscrites. Car dessiner l’horreur, c’est peut-être plus difficile encore que de l’écrire. Les auteurs évitent toute surabondance d’images choquantes. Ce qui y est raconté et vu est déjà bien suffisant. C’est avant tout l’ambiance de cette guerre qui est retranscrite avec beaucoup de force.
Pour distinguer les parties roman et biographie, Percio adopte deux styles différents. Le trait qui présente Dorgelès est plus « propre », colorisé dans les bleus. Le dessin des tranchées est terreux, sale, parfois incertain. Il s’adapte aux événements. C’est du très beau travail. Narrativement, il y a de belles trouvailles : pages pleines, doubles pages et d’autres encore que je vous laisse découvrir. Il y a un vrai travail d’adaptation pour faire ressentir l’attente qui, en soit, rythmait la vie des soldats. L’image sait se mettre au service du texte et lui donner plus de force encore.
C’est une belle adaptation que cette bande-dessinée. À mettre aux côtés des meilleurs ouvrages du genre sur la 1ère Guerre Mondiale. Retrouver le texte de Dorgelès mis en images ainsi est un plaisir. Porté par un dessin inventif, varié et puissant, c’est une lecture qu’on ne pourra que conseiller à ceux que la vie des poilus intéresse.