" Le même soir, Baba s'allongea sur le canapé sous une couverture en laine. Je lui servis un thé chaud et des amandes grillées, et le redressai - bien trop facilement - en enroulant mes bras autour de lui. Au toucher, ses omoplates m'évoquaient des ailes d'oiseau. Je remontai la couverture sur sa poitrine, là où les côtes tendaient la peau fine et jaunâtre."
"Baba se mouilla les cheveux, les peigna en arrière. Je l'aidai ensuite à enfiler une chemise blanche propre et lui nouai sa cravate, non sans noter au passage l'espace qui restait entre le bouton du col et son cou. Ce vide m'amena à songer à tous les autres qu'il laisserait après sa mort. Je me repris toutefois. Il n'était pas mort. Pas encore. Et cette journée appelait des pensées réjouissantes. La veste de son costume marron, celui qu'il avait revêtu à ma remise de diplôme, était désormais trop grande pour lui, si bien que je dus lui retrousser les manches. Puis je me baissai pour attacher ses lacets."
"Juste avant minuit, il exprima le désir d'aller se coucher. Soraya et moi l'aidâmes à regagner son lit. Une fois couché, il la pria d'éteindre sa lampe de chevet. Puis il nous demanda de nous pencher et nous donna à chacun un baiser.
- Je reviens tout de suite avec votre morphine et un verre d'eau, kaka jan, lui dit Soraya.
- Non, ce n'est pas la peine. Je n'ai pas mal ce soir.
- Très bien.
Elle remonta la couverture sur lui et nous refermâmes sa porte.
Baba ne se réveilla pas."
Moi aussi je me souviendrai pour toujours de tes "omoplates en ailes d'oiseau".
Ce n'est pas moi qui aie éteint la lumière de ta chambre cette nuit-là, mais je te vois comme si...
"Les Cerfs-volants de Kaboul" - Khaled Hosseini