Poezibao propose des extraits du livre, en hommage au poète et les fait précéder de la lettre de son éditeur, Yves di Manno (Flammarion), lettre qui accompagne le livre.
« Une immense tristesse accompagne la parution de Promenade et guerre. Cédric Demangeot nous a quittés à l'âge de quarante-six ans, le 28 janvier 2021, alors que son livre était à l'impression et qu'il l'attendait dans une forme de joie, malgré la maladie contre laquelle il luttait et qui a fini par l'emporter.
Par-delà la douleur de sa famille et de ses proches, l'émoi de ses lecteurs, c'est une grande perte pour la littérature d'aujourd'hui que la disparition précoce d'un poète aussi droit, talentueux, intransigeant — mais également soucieux de ses contemporains, comme l'ont montré la revue Moriturus (2001-2005) et les éditions Fissile, que Cédric a animées jusqu'à la fin. Son œuvre riche d'une vingtaine de titres (parus entre autres chez Fata Morgana, Grèges, La Feugraie, L'Atelier contemporain...) et d'un ensemble conséquent de traductions, se voit donc brutalement fauchée dans son élan : mais soyons assurés que son rayonnement ne fait que commencer.
Y. d. M.
La collection Poésie/Flammarion avait précédemment accueilli deux importants recueils : Une inquiétude (2013) et Un enfer (2017). Cédric Demangeot s'était aussi occupé d'éditer l'oeuvre posthume de son ami Guy Viarre (1971-2001), dont il avait notamment établi et préfacé Tautologie une & autres textes en 2007.
parfois, le soir
(mais seulement le matin)
à l'heure où la lumière est si belle
qu'on en devient crétin
je me prends pour un arbre
je me prends pour un arbre en guerre
je me prends pour un arbre en guerre contre la mort,
j'explique à mes enfants
qu'il faut fumer tant qu'on est jeune, fumer
autant qu'on peut pour expulser
le néant, je danse
en passant la serpillière dans la cuisine,
récite à ma chienne
des poèmes en tchèque, en polonais
cette bonne bête bien sûr
comprend tout c'est
dans ce regard que je
connais que je ne suis pas
un arbre — mais ce pantin foutu,
raclé, radieux, désartic
ulé de lu
mière & harcelé de
bruit de ce côté-ci du temps le
mauvais côté.
/
il est temps d'être nu — c'est Leopoldo mort
qui me l'a dit — dans un hoquet
de terreur — à la lumière de Lulu
qu'on ligote au poteau — dans la langue étrange
du poète singeant personne : J'ai les mains
vides — aimez-moi comme, tas de brutes, vous avez
aimé Rilke ou Marilyn, sauvez-moi, n'oubliez pas
je suis nu comme un ver entre vos mains, je
ne suis qu'un enfant : le vôtre,
/
de toute manière je ne me souviens de rien
stejnè si nemohu nic pamatovat
comme disait Ivan Blatný, poète
du troisième millénaire
mort à Londres en 1990
dans un hôpital psychiatrique
d'une angoisse incurable et dans un sourire
comme tous les incapables de son espèce
(46-48)
/
Le rongement de toute une corderie
c’est un travail de rat de choc
On peut en démissionner tous les jours.
Mais en vérité — on ne peut pas.
Tous les jours on ne peut pas. Sinon
Ce sont les cordes qui nous mangent
(124)
Cédric Demangeot, Promenade et guerre, Flammarion, 2021, 240 p., 18€. En librairie le 24 février 2021.
Promenade et guerre s'inscrit dans le prolongement des deux précédents ouvrages de l'auteur et poursuit le combat sans merci que ce dernier a engagé, à travers l'écriture, avec le monde tel qu'il ne va plus guère. Cette poésie sombre, sans concession, d'un désespoir lucide - ou d'une lucidité désespérée - n'est pourtant pas dénuée d'une sorte d'humour froid qui ne « sauve » pourtant pas l'univers dont elle multiplie les images inquiètes, elle cherche au contraire à le ramener à l'essentiel, le réduire à sa blessure centrale - et fondatrice. Regarder le monstre en face, sans céder à sa fascination horrifiée, tel semble être le but que Cédric Demangeot fixe à la poésie. Promenade et guerre participe de ce lent travail de fouilles, ramenant à la surface - à la conscience du lecteur des pages souvent bouleversantes, sans compromis ni rédemption.
Né en 1974, Cédric Demangeot est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages parus notamment chez Fata Morgana, Grèges, l'Atelier contemporain. Il a publié l'œuvre posthume de son complice disparu Guy Viarre (avec qui il avait fondé la revue Moriturus) et animait depuis 2002 les éditions Fissile, ouvertes à de nombreux poètes étrangers d'aujourd'hui. La collection Poésie/Flammarion a déjà accueilli deux de ses plus importants recueils Une inquiétude (2013) et Un enfer (2017).
On lui doit des traductions de l’espagnol, du bengali, de l’anglais et du tchèque, d’Alberto Ruy-Sánchez, Lokenath Bhattacharya, William Shakespeare, Leopoldo María Panero, Bryan Delaney, John Millington Synge, Nicanor Parra, Bohdan Chlíbec, Jan Zábrana.
Deux autres livres de Cédric Demangeot doivent paraître chez Eric Pesty et aux Editions du Canoë.
Dans Poezibao :
une recension de Ravachol, par Mazrim Ohrti, extrait 1 (Eleplégie), note de lecture Eléplégie, Philoctète (parution), & ferrailleurs (par Julien Martin), ext. 2, Sale Temps (JP Dubost), Ferraille (par Y. Miralles), "Une Inquiétude" par Antoine Emaz, ext. 3, "Une inquiétude", par Jean-Pascal Dubost, "Autrement contredit", par Antoine Bertot, "Autrement contredit", par Isabelle Lévesque, (anthologie permanente) Cédric Demangeot, "criblé d'inquiétude & / déguenillé de joie", (Note de lecture) Cédric Demangeot, "Un enfer", par Eric Darsan, (Note de lecture) Cédric Demangeot, "Un enfer", par Alexandre Battaglia, (Anthologie permanente) Cédric Demangeot, Pour personne, (Disparition) Cédric Demangeot