Kuessipan, de Naomi Fontaine (éd. Mémoire d'encrier)

Publié le 15 février 2021 par Onarretetout

Publié il y a dix ans par Mémoire d’encrier, voici la version de ce livre très particulier en poche, une collection nommée Legba, dieu des écrivains, précise l’éditeur, dans la mythologie vaudoue.

Kuessipan signifie « à toi », « à ton tour ». C’est ce que s’est dit Naomi Fontaine avant d’écrire ce livre. C’est ton tour : le présent, c’est ton présent, nourri des souvenirs des ancêtres, si tu t’en souviens, mais ton histoire est la tienne, pas la leur. Dans une langue française accueillant des mots d’innu-aimun, l’autrice raconte la vie dans la réserve, de l’autre côté de la barrière qui interdit l’accès aux loups et aux Innus. Et c’est la vie d’une jeune femme (elle a vingt trois ans quand elle écrit ces courts textes ici rassemblés) du XXIe siècle entre Uashat et Mani-utenam. Elle écrit avoir mis « un voile blanc sur ce qui est sale », mais ne nous cache ni l’absence des pères, ni l’alcool (qu’on n’emporte pas sur les terres sacrées), ni la drogue (qui extasie les cerveaux), ni la violence. Son propos pourtant est de dire la vie simplement, la joie d’une naissance, la peine et la veillée funèbre, la chasse, le train, le campement nomade, la nature âpre, le froid, la neige, l’école, les grands-parents, le droit qu’il faut conquérir…

C’est un roman dont Myriam Verreault a fait un film, sorti récemment. Ce sont des poèmes en prose, comme en a écrits, au XIXe siècle, Baudelaire. Cependant si le poète poursuit d’une autre façon l’écriture des Fleurs du Mal et justifie son choix par « la fréquentation des villes énormes », Naomi Fontaine s’exprime à partir d’un territoire situé dans la région du Golfe du Saint-Laurent, et d’une nation qui ne veut dominer personne.

Extrait :
« Quelque part avant Tadoussac, planté entre deux montagnes, il y a un lac qui reflète les choses de la Terre. Sur la rive, un quai et des canots. Une cabane en bois qui fume à moins de neuf mètres. Personne qui se baigne. Lorsque les feuilles rougissent, le lac éclate dans des couleurs de feu. Il brûle. Quand la neige le recouvre entièrement, les canots disparaissent. Le lac ne réfléchit plus l’éclat d’un bleu céleste. Ne reste que sa pâleur et les milliers d’épinettes grises pour assurer sa beauté. »