Je ne sais plus qui a dit : « la seule volonté d'écrire un poème tue le poème » . C'est pour cela que je reviens toujours à la poésie. La poésie est rétive. Vous ne la conduisez pas, elle vous conduit. Elle résiste à toute volonté, à tout projet, à toute stratégie, à tout commerce, à tout succès, à tout échec. Avoir écrit un poème (non pas parce que vous en avez décidé ainsi mais parce qu'il en a été ainsi) avec le sentiment de s'être approché de ce que vous vouliez dire, est une merveilleuse aventure, une des dernières possibles. Peu importe qu'il ne soit pas reconnu comme poésie par quelqu'un d'autre. Que le poème soit estimé, méprisé ou dédaigné, que quelqu'un aime ou n'aime pas votre poème n'a aucune importance. Une époque le jugera mauvais, une autre bon. Qu'importe, vous ne serez plus là pour vous préoccuper de ce qu'est devenu votre poème, de sa fortune ou de son infortune. Il aura roulé comme un caillou dans la rivière et fera de toute façon désormais partie de ce que l'absurde et grand mécano de l'univers aura construit.
Photo © Christian Cottet-Emard
Extrait de mon livre Prairie journal (carnets), éditions Orage-Lagune-Express.