Roman -250 pages
Editions Plon - août 2020
Yamina est cette mère algérienne qui vit dans l'indifférence sociale une vie humble, à Aubervilliers, avec un mari retraité de l'industrie, et encore quelques grands enfants au foyer. Elle semble effacée, n'exprime aucune attente du lendemain, résignée inévitablement... Mais au fond, qui connaît Yamina ? Comment préjuger de son passé, de ses intimes émancipations et rebellions, de son parcours âpre, de ses abnégations et son courage ? Son mari peut-être, mais ses enfants surtout, Malika l'aînée, qui est divorcée, Hannah même si elle s'insurge sur le mépris dont beaucoup offense leur mère, Imane et Omar le petit dernier chouchouté.
J'avais lu il y a longtemps Kiffe kiffe demain il y a déjà plus de 10 ans... Avec La discrétion, Faïza Guène embrasse un récit ambitieux transgénérationnel. Elle met en mots ce qui est rarement conté, elle transcrit en littérature un héritage flou, méconnu, celui de parents analphabètes exilés qui ont parfois maladroitement mais toujours très sincèrement dévoué leur vie au service d'un avenir rêvé conforme et satisfaisant pour leurs enfants. L'héritage ne se fait pas sans contestation, sans rejet, sans honte, sans douleur. Aucun des quatre enfants n'est devenu l'adulte idéalisé socialement accompli en France et remplissant les codes attendus de la tradition culturelle. Ils ont brisé les codes, et les parents ne doivent pas moins les en aimer quoiqu'il leur en coûte en désillusion.
Extrait :
"Est-ce qu'il faut qu'Omar descende à la mine et se retrouve la figure pleine de charbon pour prouver à son père qu'il est un homme ?
Les chauffeurs Uber d'aujourd'hui ne sont-ils pas les mineurs d'hier ? Ne sont-ils pas comme leurs pères ?
Des travailleurs qu'on paie peu et qui font fructifier un système inégal et gourmand ; ne sont-ils pas leurs dignes héritiers, après tout ?"Avec son langage très rythmé, illustré, drôle, pertinent, c'est un récit très vivant avec une force de la jeunesse qui irrigue les pages, et c'est un bonheur à lire.
Ce qui est très beau dans ce roman, c'est le tour de force accompli par l'auteure qui, en alternant ses chapitres entre l'Aubervilliers de 2019 et l'Algérie des années 50 à 70, donne la vie à un personnage féminin, une mère immigrée pour laquelle on passe de la pitié à l'admiration, et même à l'envie. Faïza Guène sait amener le lecteur vers les vraies considérations, vers l'empathie nécessaire à la compréhension du poids d'un être, à la valeur de ce qui le remplit, de ce qui fait son bonheur et ses nostalgies.